ÉGYPTE DEPUIS L’ISLAM - L’Égypte républicaine

ÉGYPTE DEPUIS L’ISLAM - L’Égypte républicaine
ÉGYPTE DEPUIS L’ISLAM - L’Égypte républicaine

Le renversement du roi F r k, le 23 juillet 1952, est l’œuvre de quelques officiers liés par une fraternité d’armes renforcée d’amitiés personnelles ou parfois de liens familiaux. Ces hommes, entrés dans la carrière militaire au milieu des années trente, ont constitué, surtout après la défaite de leurs armes en Palestine, une organisation secrète au sein même de l’armée, l’Association des officiers libres: celle-ci comprend à la veille de la «révolution» deux cent cinquante officiers groupés en cellules plus ou moins cloisonnées, coiffées d’un conseil exécutif composé d’une dizaine de membres. Ces militaires ne peuvent plus en effet supporter la situation de leur pays: celle d’une Égypte engagée imprudemment par la monarchie dans une première confrontation en Palestine, humiliée en outre par l’occupation d’une partie de son territoire – la zone du canal de Suez – par les forces britanniques, bloquée dans son ambition d’unir la vallée du Nil, démoralisée par le comportement d’un monarque corrompu et par les agissements d’une mince couche dirigeante solidaire d’intérêts étrangers, dont une notable partie au surplus n’est pas d’origine autochtone, enfin celle d’un pays aux prises avec une démographie galopante qui réduit chaque jour la part de revenu à partager entre ses nombreux enfants. La prospérité relative de la période correspondant à la Seconde Guerre mondiale, liée à l’interruption des échanges transméditerranéens et au stationnement en Égypte de nombreuses troupes alliées, a pris fin avec le rétablissement de la paix et des grands courants commerciaux. Dans les cinq années qui précèdent le changement de régime, le produit national brut par tête d’habitant diminue de 18 p. 100. Le revenu annuel du paysan baisse de 7 p. 100. Les indices de natalité sont de 45 p. 1 000, ceux de mortalité de 20 p. 1 000. Les organisations internationales signalent que, en dépit du fait qu’il existe un médecin pour 2 000 habitants, 49 p. 100 de la population est atteinte de maladies endémiques (bilharziose, ankylostomiase) et de tuberculose. La malnutrition fait des ravages. L’Égyptien dispose en moyenne de moins de 1 800 calories et de 7 à 9 grammes de protéines par jour. Son alimentation trop riche en hydrates de carbone manque en revanche d’éléments oligo-azotés. La population ne cesse de croître dans les centres urbains. Si la densité rurale se maintient autour de 540 habitants au kilomètre carré, la densité urbaine est de 8 000 habitants au kilomètre carré dans les quartiers construits selon les normes «européennes» et atteint dans les quartiers populaires 112 000 habitants en 1950.

Malgré un début d’industrialisation, une économie de marché prospère, une monnaie solide, l’Égypte entre, dès la fin de la guerre 1939-1945, dans une ère de sous-développement. Le roi F r k, en se lançant dans l’aventure palestinienne, engloutit dans des achats d’armes une grande partie des crédits en devises que Le Caire possédait à Londres. Il laisse, en abdiquant le 26 juillet 1952 en faveur de son fils âgé de six mois, un pays ruiné, lassé par ses outrances, une administration corrompue, des partis déconsidérés et sans projet d’avenir. Salué par le général Muhammad Nag 稜b, qui avait été porté à la tête des conjurés, il part pour l’exil le 26 juillet 1952.

Les officiers, maîtres du pouvoir, n’ont, eux non plus, pas de programme d’action explicite. Ils ont jusque-là reculé devant une formulation qui aurait divisé leurs rangs, les documents écrits pouvant en outre tomber entre les mains de la police. Leurs buts affichés au lendemain de la prise du pouvoir se résument en quelques principes: liquidation de l’impérialisme et de ses agents, liquidation du féodalisme, suppression de la domination du capital sur le pouvoir, instauration de la justice sociale, formation d’une armée nationale forte, établissement enfin d’une vie démocratique saine.

1. Le nouveau pouvoir et les premiers défis

La monarchie est maintenue quelques mois encore. Le fils de F r k règne sous le nom de Ahmad Fu’ d II. Trois régents, un membre de la famille royale, fils de l’ancien khédive ’Abbas II Hilmi, déposé en son temps par les Britanniques, un juriste, ancien président de la Cour des comptes, un officier enfin suppléent le monarque pendant sa minorité. Les noms des membres du Conseil supérieur de la révolution sont connus le 27 juillet. Celui-ci comprend, outre le général Nag 稜b, dont on saura par la suite qu’il n’a pas fait partie de la direction collégiale des Officiers libres, onze autres officiers: Gamal Abdel Nasser (Gam l ’Abd an-N ルir), Gamal Salem, Zakaria Mohieddine (Zak rriyy ’ Mu ム 稜 ad-D 稜n), ’Abd al- ネak 稜m ’ mer, プ la ム Salem, Khaled Mohieddine (face="EU Dodot" ネ lid Mu ム 稜 ad-D 稜n), Kam l ad-D 稜n ネusayn, ’Abd al-La レif al-Boghd di, Hussein el-Chafei (face="EU Dodot" ネusayn aš- プaf 稜’ 稜), Anouar el-Sadate (Anw r as-Sad t) et Hasan Ibrahim. Un gouvernement présidé par un homme politique connu, ‘Al 稜 M her pacha, est formé dès le 24 juillet et le général Nag 稜b est nommé commandant en chef des forces armées. Les collaborateurs du souverain sont arrêtés, l’administration épurée; des officiers contrôlent les moyens d’information et les principaux services publics. Une série de festivités ou de commémorations (défilés trois mois, six mois, un an après la révolution, translation des cendres de héros nationaux comme Mustafa Kamel et Muhammad Farid, semaines de l’armée) accompagnent ces changements.

Le 30 juillet 1952, une loi abolit les grades de pacha et de bey. Le 12 août, à la suite d’une grève dans le centre industriel de Kafr ad-Dawar, deux ouvriers sont pendus. Une loi sur la réforme agraire est adoptée par décret le 9 septembre. Sans porter atteinte au droit de propriété, elle limite celle-ci à 200 fedd ns (1 fedd n égale 4 200 m2), 300 quand le propriétaire a au moins deux enfants. Elle réglemente surtout plus équitablement les relations entre propriétaires et locataires, préserve les droits des travailleurs ruraux, entraîne l’abrogation des biens de main-morte de famille (waqfs ). Les terres confisquées aux propriétaires – 560 000 fedd ns, soit le dixième de la terre cultivable – seront distribuées. Ces mesures, qui ont peu de répercussions sur les paysans dépourvus de terre, visent surtout le pouvoir politique des gros propriétaires terriens. Elles provoquent la démission, le 6 septembre 1952, de ‘Ali M her pacha. Le général Nag 稜b forme le lendemain le nouveau cabinet, où il exerce les fonctions de ministre de la Guerre et de la Marine. Les Frères musulmans ne cachent pas leur réprobation, les juristes déclarent la réforme non constitutionnelle. Le Conseil de la révolution abolit la Constitution de 1923, déjà suspendue par le roi en janvier 1952, après l’incendie du Caire. Un texte provisoire composé de onze articles tiendra lieu de loi fondamentale. Invités à abandonner leurs chefs trop compromis avec le régime précédent et à épurer leurs rangs, les partis politiques wafdiste, saadiste, libéral constitutionnel, nationaliste (outre quelques groupements de moindre importance) sont finalement dissous le 16 janvier 1954 dans l’indifférence générale. L’association des Frères musulmans, dont plusieurs des principaux Officiers libres avaient été membres, est provisoirement épargnée. Le 23 janvier 1953, un Rassemblement de la libération est fondé pour appuyer l’action réformatrice de l’armée. Gamal Abdel Nasser en est le secrétaire général.

La confiscation des biens de la famille royale, évalués à 70 millions de livres égyptiennes, permet avec l’aide d’un maigre concours budgétaire de financer les premières entreprises économiques de la révolution: début de fertilisation du désert dans la province de la Libération, au nord-ouest du Caire, qui devait servir à expérimenter la création d’une nouvelle paysannerie; électrification des chutes d’Assouan; construction de l’usine Kima pour les engrais et de l’aciérie de Hélouan... Un conseil permanent pour le développement est créé.

Pour la plus grande partie de l’économie, les règles de la libre entreprise sont maintenues et les investissements étrangers sont favorablement accueillis. Toutes ces premières décisions sont bien reçues. Les propriétaires ruraux eux-mêmes s’accommodent de réformes qui leur laissent, grâce à des possibilités d’aménagements familiaux, une part appréciable de leurs terres, les indemnisent pour la partie de leurs biens confisquée, et leur permettent finalement de rentrer sans trop de mal dans le giron national. Ils attendent de toute façon de voir à l’œuvre les nouveaux dirigeants, qui ont proclamé la République le 16 janvier 1953, sur les deux questions qui, depuis le XIXe siècle, pèsent sur la vie politique égyptienne: l’occupation de la zone du canal de Suez et l’unité de la vallée du Nil. Les militaires risquent en effet d’être obligés soit de heurter de front la force encore redoutable de l’Empire britannique et de courir, comme le Wafd, à l’échec, soit de composer avec les occupants et d’être discrédités, perdant ainsi le soutien populaire. Le calcul se révèle être faux.

Une solution intervient dans les deux cas assez rapidement. Le Caire accepte, le 12 février 1953, le principe de l’autodétermination du Soudan, accordée unilatéralement par Londres, qui mènera le pays à l’indépendance le 1er janvier 1956. Il obtient le 19 octobre 1954, avec l’appui de la diplomatie américaine, l’évacuation échelonnée sur vingt mois des troupes britanniques stationnées dans la zone du canal de Suez. Les bases ainsi abandonnées seront entretenues pendant une durée de sept ans par des techniciens britanniques mis à la disposition du commandement égyptien. Elles pourront être réactivées dans l’éventualité d’une attaque armée d’une puissance extérieure contre tout État de la Ligue arabe ou contre la Turquie (art. 4). Cette dernière clause provoque aussitôt une surenchère nationaliste compliquée d’arrière-pensées politiques, où se distinguent les Frères musulmans. Le 26 octobre 1954, à Alexandrie, des coups de feu sont tirés par l’un d’eux sur Nasser. La répression s’abat sur l’association jusque-là ménagée. Des milliers de suspects sont arrêtés et interrogés, et certains sont déférés devant une juridiction d’exception, le Tribunal du peuple, où siègent trois Officiers libres dont le colonel Anouar el-Sadate, ministre d’État. Six dirigeants sont condamnés et exécutés. Seul est épargné le guide suprême, ex-magistrat réputé pour sa modération. L’Association des frères musulmans est dissoute le 29 octobre 1954.

Au même moment, un désaccord assez grand divise les Officiers libres et s’étend à l’armée. Il porte sur l’éventualité d’un retour des militaires dans leurs casernes, sur la réanimation du régime parlementaire après l’assainissement déjà opéré dans la vie publique, ou au contraire sur la nécessité de poursuivre la révolution. Les tenants du premier choix se groupent derrière le général Nag 稜b qui, par sa bonhomie, ses apparitions publiques fréquentes, bénéficie d’une énorme popularité au sein du public égyptien, suscitant l’irritation de la «junte» et du chef des Officiers libres, Gamal Abdel Nasser. Celui-ci au contraire est résolu à suivre la seconde voie. Le 25 février 1954, un communiqué annonce la démission du chef de l’État et son remplacement par le lieutenant-colonel Nasser aux postes de chef du gouvernement et de président du Conseil supérieur de la révolution. Le texte révèle à cette occasion que le général ne faisait pas partie à l’origine de l’association secrète, et qu’une mésentente croissante s’est instaurée petit à petit entre lui et ses compagnons plus jeunes. Mais un mouvement populaire spontané appuyé par une sortie du corps de cavalerie d’Abasieh contraint le C.S.R. à rappeler le général Nag 稜b à la tête de l’État. Le retour au régime parlementaire semble proche, mais la réapparition de l’ancien personnel politique, l’impudence des beaux parleurs de droite ou de gauche suscitent une réaction de l’armée, qui s’appuie sur le Rassemblement de la libération et est adroitement mise en œuvre par Gamal Abdel Nasser, qui était resté chef du gouvernement. Isolé à son tour, le général Nag 稜b est définitivement écarté du pouvoir le 14 novembre 1954. Avec lui disparaît de la scène politique un homme réaliste et débonnaire. Abdel Nasser accède désormais aux plus hautes responsabilités. Il dispose de forces armées épurées, d’une police fidèle et d’un service de propagande efficace.

L’affirmation de l’Égypte à l’extérieur

Menant à l’intérieur une politique faite à la fois de persuasion et de répression, il met en œuvre à l’extérieur, dans les années suivantes, une ligne de conduite conforme à sa vision de la place de son pays dans le monde et du rôle que lui-même était appelé à jouer. Ses vues étaient définies dès 1954 dans son petit ouvrage Philosophie de la révolution . Abdel Nasser situait l’Égypte au centre de trois ensembles, un cercle arabe, un cercle islamique, un cercle africain. Menant son action en fonction des possibilités dans l’une ou l’autre direction, il cherchera à influencer le monde afro-asiatique, voire le Tiers Monde tout entier.

Dès 1954, à l’occasion d’une visite à La Mecque, il lance, avec le concours de l’Arabie Saoudite, l’idée d’un congrès islamique: le pèlerinage aux villes saintes de l’Islam pourrait être l’occasion d’un congrès politique annuel. Anouar el-Sadate en assure le secrétariat général, mais l’entreprise ne durera guère plus d’un an, car elle bute sur des divergences avec le pouvoir saoudien à propos de la politique à mener au Moyen-Orient. La guerre froide gagne en effet la région. La Grande-Bretagne, n’ayant pas réussi à reconduire les traités d’amitié qui la liaient avant la guerre à l’Égypte et à l’Irak, envisage de passer d’une formule de relations bilatérales à une alliance multilatérale. Ce projet va dans le sens du souhait américain de cantonner l’U.R.S.S. dans sa zone d’influence et de relier le pacte de l’O.T.A.N. à son équivalent asiatique l’O.T.A.S.E. par un pacte moyen-oriental. La Turquie et l’Irak vont servir de point d’ancrage à cette opération.

Le Caire, dont le territoire n’est pas encore définitivement libéré de la présence britannique, réagit vivement à cette perspective et propose une alliance régionale arabe dans le cadre de la seule Ligue arabe. Une campagne intense de propagande se déchaîne au Moyen-Orient, où se distingue «la Voix des Arabes», une émission spécialement conçue pour prolonger au-delà des frontières l’influence de la révolution égyptienne. Au début de 1955, rien ne semble pouvoir empêcher la mise en place, réalisée au cours de l’année, du nouveau bouclier anticommuniste au Moyen-Orient, qui associe Turquie, Irak, Iran, Pakistan et Grande-Bretagne.

Abdel Nasser participe à la conférence de Bandoung (17-24 avril 1955), qui réunit trente pays d’Afrique et d’Asie, à l’initiative du Groupe de Colombo (Inde, Pakistan, Indonésie, Birmanie et Ceylan), dans une ville voisine de la capitale indonésienne. Il y apparaît comme le principal représentant du monde arabe et y fait la connaissance de Nehru et de Zhou Enlai. Les deux hommes, en particulier Nehru, lui font découvrir ce que pourrait être un neutralisme qui ne serait pas seulement refus d’engagement et marchandage, mais qui s’élèverait à la dignité d’un humanisme, introduisant sur la scène internationale une morale refusant les seuls rapports de force entre les Grands. Le Premier ministre chinois sert en outre d’intermédiaire avec les Soviétiques à propos de l’épineux problème de la fourniture d’armes. Le problème palestinien en effet resurgit. Des feddayin (Fid ’yy n , guérilleros) formés en Égypte et en Syrie ayant attaqué des colonies israéliennes, les Israéliens réagissent le 28 février 1955 en détruisant le quartier général égyptien à Gaza. L’ambassadeur soviétique au Caire propose à l’Égypte une vente d’armes sans condition, payables en coton ou en articles textiles. Le 27 septembre 1955, Nasser prononce un retentissant discours annonçant la prochaine livraison d’armes tchécoslovaques à son armée. Le monopole occidental en cette matière est tourné. Pour la première fois, les Égyptiens étaient traités en clients libres d’user à leur guise du matériel acheté et n’étaient plus bridés, comme dans les contrats américains et français, par des clauses leur interdisant d’utiliser leurs armes contre Israël ou de les envoyer en Afrique du Nord. La décision égyptienne réintroduit les Soviétiques au Proche-Orient. Staline, qui avait tenté d’y prendre des gages au lendemain de la guerre (détroits, zones de Kars et d’Ardahan en Turquie, Azerbaïdjan et Kurdistan iraniens, Libye) et avait retiré ses mises devant les réactions immédiates des Alliés, est mort en 1953 et ses successeurs, rompant avec le dualisme idéologique jdanovien, sont prêts maintenant à soutenir les bourgeoisies nationales, à condition qu’elles s’engagent à aller vers une rupture avec l’impérialisme. Le Yémen et la Syrie suivront bientôt la voie ouverte par le Caire.

Si l’Angleterre a choisi Bagdad comme pivot de sa politique arabe, les États-Unis, qui ont appuyé le régime des Officiers libres dès leur coup d’État, ne renoncent pas à maintenir leurs contacts avec Le Caire. Ils tentent de reprendre les choses en main par le biais de l’aide économique. Le projet du haut barrage d’Assouan leur en donne l’occasion. Cet ouvrage monumental doit permettre une régularisation pluri-annuelle des crues du Nil grâce à un lac réservoir qui retiendra 125 milliards de mètres cubes d’eau, permettra l’irrigation de 850 000 hectares de terres désertiques et fournira dix milliards de kWh par an qui assureront la mutation industrielle du pays. La réalisation de cette grande œuvre permettra seule de faire face aux pressions d’une démographie galopante. Mais la construction d’un tel ouvrage exige des fonds énormes: près de 1 500 millions de dollars, dont 400 pour la première phase. Une province entière, riche de trésors archéologiques, la Nubie, doit être recouverte par les flots. Divers pays membres de l’U.N.E.S.C.O. s’emploient au sauvetage des trésors antiques. Statues et temples seront placés sur des sites surélevés.

Washington propose un projet de financement pour une première tranche de travaux, projet auquel participeraient la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, les États-Unis et l’Angleterre. L’apport américain, sans être le plus important, constitue la clef de voûte de l’ensemble. Mais Nasser ne montre pas d’empressement à l’accepter. Certaines clauses de l’accord lui apparaissent comme un désir de contrôler les finances de l’État emprunteur; elles sont susceptibles par conséquent de limiter sa liberté d’action. Il multiplie les contacts avec l’U.R.S.S. et laisse entendre que les Soviétiques lui offrent des conditions plus avantageuses. Il refuse par ailleurs de discuter avec le Soudan et l’Éthiopie, qui contrôlent le haut Nil et dont l’accord est nécessaire à la réalisation du projet. Enfin il reconnaît le gouvernement de la Chine populaire, mesure fort peu appréciée par le secrétaire d’État américain J. F. Dulles. Aussi, lorsqu’il donne enfin l’ordre à son ambassadeur à Washington de faire connaître son acceptation de l’offre américaine, il se voit notifier, le 18 juillet 1956, l’annulation de celle-ci. La Grande-Bretagne et la B.I.R.D. font à leur tour savoir leur retrait quelques jours plus tard. Le chef d’État égyptien accueille cette décision comme un camouflet. Le 26 juillet, alors que les dernières troupes britanniques ont quitté leurs bases de la zone du canal huit jours auparavant, il annonce à la foule, massée sur la place Muhammad-’Al 稜 à Alexandrie pour le quatrième anniversaire de la révolution, la nationalisation de la Compagnie universelle du canal de Suez et l’affectation de ses revenus au financement du haut barrage.

La crise de Suez

L’épreuve de force

Nasser n’apprécie sans doute pas correctement les répercussions internationales de sa décision. Elle indigne les gouvernements et l’opinion en France et en Angleterre. Les pilotes de ces deux nations assurant le trafic maritime dans la voie d’eau sont rappelés et remplacés aussitôt par des Russes et quelques Égyptiens. Une conférence des usagers du canal se réunit à Londres et envoie au Caire le Premier ministre australien Robert G. Menzies, qui trouve un interlocuteur égyptien assuré de son bon droit, prodiguant des garanties quant à la liberté de trafic sur la voie d’eau, à la bonne gestion et à l’élargissement du canal, comptant sur le veto soviétique au Conseil de sécurité des Nations unies pour bloquer toutes les pressions internationales. Le refus d’un alignement sans gloire dans le camp occidental, l’achat d’armes aux pays communistes, la nationalisation d’un des principaux fleurons de l’impérialisme européen, créent en Orient le mythe nassérien. Le prestige du chef de l’Égypte, le rais, rayonne sur tout le monde arabe, qui voit en lui son nouveau héros. Une propagande diversifiée mais utilisant surtout le moyen d’influence nouveau que constitue la diffusion des postes à transistors, un soutien apporté par les services de renseignement aux exilés en rupture avec leurs gouvernements qui trouvent au Caire accueil, aides de toute sorte et subsides, contribuent à ce phénomène. En Syrie, la parti Ba’th, mouvement nationaliste arabe, proche et en fait rival du nassérisme, est entré en juin au gouvernement. En octobre 1956 est élue en Jordanie une Chambre presque totalement nassérienne. Quelques jours plus tard, le 23 octobre, ‘Amm n rallie l’alliance militaire conclue l’année précédente par l’Égypte, la Syrie et l’Arabie Saoudite pour faire échec au pacte de Bagdad. Le général égyptien Abdel Hakim Amer prend le commandement des forces des quatre États. La France redouble d’inquiétude pour l’Algérie, où le F.L.N. développe ses actions depuis déjà deux ans. La Grande-Bretagne craint de voir Nuri Said balayé en Irak et ses positions du pourtour de l’Arabie menacées. Israël, qui a vu sans plaisir disparaître l’écran que constituaient les forces britanniques de la zone du canal, assiste avec appréhension à l’arrivée des armes tchécoslovaques et songe à agir avant que celles-ci ne deviennent opérationnelles entre les mains égyptiennes. Paris, Londres et Tel-Aviv se concertent et conviennent secrètement d’un plan d’action. Alors que se déroulent les événements de Budapest (24 octobre 1956), les forces israéliennes attaquent dans la nuit du 29 au 30 octobre dans le Sinaï. Six jours plus tard, elles occupent toute la presqu’île, faisant plus de 5 000 prisonniers et s’emparant de 100 chars T 34. Londres et Paris, appliquant le scénario mis au point secrètement en juin, adressent un ultimatum conjoint à l’Égypte et à Israël, leur enjoignant un cessez-le-feu immédiat et un retrait à 10 miles du canal, faute de quoi les forces franco-britanniques interviendraient. L’ultimatum exige également le stationnement d’une force alliée le long du canal pour garantir la liberté de circulation. Le Caire rejette l’ultimatum, Israël l’accepte. Pour la première fois au Conseil de sécurité, Londres use de son droit de veto contre les États-Unis, qui sont indignés d’avoir été placés devant le fait accompli par leurs alliés. Au Caire, des civils sont armés. Routes et voies d’eau sont bloquées. Malgré une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies adoptée le 2 novembre, demandant aux États d’arrêter toute action et en outre à Israël de se retirer sur la ligne d’armistice, les forces franco-britanniques débarquent à Port-Saïd le 5 novembre, occupent rapidement la ville et se dirigent vers Ismaïlia. Le lendemain, ces troupes reçoivent l’ordre de s’arrêter. Les deux gouvernements anglais et français cèdent aux injonctions de l’O.N.U. et aux menaces des États-Unis et de l’Union soviétique. Israël, son objectif atteint, obtempère également. Peu après, une force internationale relève Français et Britanniques qui se retirent le 22 décembre. Elle s’installe sur une ligne d’armistice qui va de la Méditerranée à la mer Rouge. Elle ne peut en principe être retirée qu’avec l’accord commun de l’Égypte et d’Israël. Mais Dag Hammarskjöld, secrétaire général de l’O.N.U., convient tacitement avec Le Caire que la force internationale, qui stationne du côté égyptien, pourrait être retirée si l’Égypte en exprimait le désir. Les Israéliens de leur côté n’évacueront le Sinaï et en particulier Charm el-Cheikh, le point qui contrôle le détroit d’Akaba, que le 14 mars 1957.

Les conséquences

Le bilan de cette intervention manquée est désastreux, en particulier pour les puissances européennes. Les biens de leurs ressortissants en Égypte sont placés sous séquestre et nombre de leurs nationaux sont expulsés. Le canal, obstrué par les navires coulés par les Égyptiens, est inutilisable pour plusieurs mois. Le ravitaillement pétrolier de l’Europe est gravement perturbé, les Syriens ayant fait sauter par solidarité les pipe-lines de l’Irak Petroleum Company (I.P.C.) traversant leur territoire. Tous les États arabes indépendants, à l’exception du Liban, rompent leurs relations diplomatiques avec la France. Le traité anglo-égyptien d’octobre 1954 est dénoncé. Au mois de février 1957, ‘Amm n abrogera à son tour le traité anglo-jordanien signé en 1948, et les Britanniques devront se retirer de leurs bases d’‘Amm n et de Mafrak. L’Irak, plus que jamais isolé, doit instituer l’état de siège et proclamer la loi martiale. Le prestige de l’U.R.S.S. grandit. Les deux Grands vont désormais jouer un rôle de premier plan au Moyen-Orient, tandis que les deux puissances européennes autrefois dominantes s’effacent. La lutte pour la décolonisation de l’Algérie et du pourtour de la péninsule arabique en reçoit un encouragement certain. Dans les pays arabes en effet, la défaite militaire, vite oubliée, tourne au triomphe politique de l’Égypte et de son chef.

Les premiers succès à l’extérieur ont permis d’institutionnaliser le régime. En janvier 1956, il est mis fin à la période transitoire de trois ans et une Constitution de type présidentiel est promulguée le 16 du même mois. Nasser, seul candidat, est élu le 25 juin suivant chef de l’État par 5,5 millions de voix (99,84 p. 100) contre 2 857. Par la même occasion, la Constitution est approuvée avec le même pourcentage. Elle prévoit la création d’un parti unique, l’Union nationale, dont les rouages ne pourront être mis en place qu’en mai 1957.

La crise de Suez précipite également l’Égypte dans une nouvelle phase de sa transformation économique. La mise sous séquestre des biens britanniques et français dans la vallée du Nil permet au gouvernement de contrôler une gamme assez vaste d’activités liées au secteur moderne de l’économie (banques étrangères, compagnies d’assurances, sociétés commerciales). Les mesures de rétorsion prises par les deux puissances pour protester contre les spoliations poussent Le Caire à abandonner le libéralisme économique pour un dirigisme planifié afin de surmonter les contrecoups de la rupture économique avec les anciens partenaires. Ces confiscations constituent la source principale de financement du plan préliminaire d’industrialisation, qui sera réalisé de 1957 à 1960 avec l’aide d’un prêt soviétique de 62 millions de livres égyptiennes sur 303 millions d’investissements totaux. Ce premier plan prévoit la création de 220 000 emplois. Les étrangers et les Orientaux non autochtones quittent l’Égypte, laissant 8 000 affaires commerciales et 90 000 postes à pourvoir.

En janvier 1958, Le Caire et Moscou signent un accord d’assistance technique et financière pour la construction du haut barrage: 710 millions de roubles sont accordés à l’Égypte. Il sont remboursables en 12 ans à partir de 1963 à 2,5 p. 100 d’intérêt. Les travaux commenceront le 5 janvier 1960. Les États-Unis, la B.I.R.D., la fondation Ford, l’Italie (construction d’automobiles avec l’aide de Fiat dans une usine de Hélouan), la Chine, le Japon, la république fédérale d’Allemagne contribuent également au développement égyptien.

Le Caire apparaît de plus en plus comme la capitale de l’arabisme dont Nasser est le héros. Les gouvernants dans tout le monde arabe sont sommés de s’aligner. L’année 1957 est cependant très agitée: complot pro-irakien avorté en Syrie et montée dans ce pays des forces favorables à une alliance avec l’Égypte et l’U.R.S.S.; réaction américaine, baptisée «doctrine Eisenhower» (9 mars 1957), offrant une aide financière et militaire à tout État du Proche-Orient luttant contre le communisme; riposte de l’U.R.S.S. avec le plan Chepilov, proposant aux trois Occidentaux un réglement à quatre des problèmes du Moyen-Orient. Tandis que plusieurs États – Arabie Saoudite, Liban, Irak – acceptent, formellement ou tacitement, la doctrine Eisenhower, le président Nasser, rejetant ces intolérables immixtions dans les affaires arabes, formule sa nouvelle politique extérieure: le neutralisme positif. Il s’agit de manœuvrer entre États-Unis et U.R.S.S. de telle façon que ces puissances reconnaissent la personnalité arabe, dirigée par l’Égypte.

La tension très vive à laquelle est soumise la Syrie en cette fin d’année 1957, du fait de ses voisins, tous favorables au camp occidental et le risque de voir les communistes syriens s’emparer des commandes dans ce pays poussent les socialistes syriens (Ba’th) puis le chef de l’État lui-même Shukri al-Kuwwatli à se tourner vers l’Égypte et vers son chef. Nasser est d’abord réticent. Il ne tient pas à indisposer les Soviétiques et craint la turbulence des militaires et hommes politiques syriens. Mais il se laisse finalement fléchir.

2. De la R.A.U. à la guerre de Six Jours

Un nouvel État

Le 1er février 1958, une déclaration commune annonce, au Caire et à Damas, la création de la République arabe unie (al-Gumh riyya al-’arabiyya al-mutta ムida ). Les institutions du nouvel État sont soumises, le 21 février, à un référendum et adoptées à la quasi-unanimité. En même temps, Gamal Abdel Nasser est désigné comme président de la République arabe unie. Il promulgue, le 5 mars, une Constitution provisoire. Celle-ci prévoit un gouvernement central, siégeant au Caire, comprenant quatre vice-présidents (deux Égyptiens et deux Syriens) et neuf ministres, dont un Syrien. La province nord (Syrie) et la province sud (Égypte) sont administrées chacune par un Conseil exécutif de onze ministres dans le premier cas, dix dans le second. Un décret met fin, le 12 mars, à l’activité des partis politiques syriens au profit d’une Union nationale à constituer sur le modèle égyptien. Une loi définit, le 3 septembre 1958, un programme de développement économique de la Syrie pour la période 1958-1968, visant à doubler comme en Égypte le revenu national en dix ans. D’autres textes préparent une réforme agraire inspirée de l’exemple égyptien. En dépit de toutes ces mesures, le nouvel État est particulièrement vulnérable. Les deux régions unifiées n’ont aucune frontière commune. Bien plus, entre elles s’interpose sur les routes terrestres l’adversaire israélien. Inégales par la superficie, le nombre d’habitants et la cohésion politique, elles diffèrent aussi du point de vue économique: la province nord, où fleurit jusqu’ici la libre entreprise, ne connaît pas la pression démographique qui affecte la province sud.

L’année 1958 est dans l’expérience de l’unité une année de tâtonnement. Le président Nasser cherche à se concilier tous les groupes antagonistes de la population syrienne qui ont vu en lui l’ultime recours, mais pour des raisons fort différentes. Il pousse cependant sans défaillance à l’intégration des deux collectivités. L’armée est épurée, les officiers les plus politisés étant nommés à des postes ministériels ou affectés en Égypte. Les éléments les plus proches du Parti communiste sont relevés de leur commandement. Le Parti communiste syrien est touché par les mesures de dissolution des partis politiques, mais son secrétaire général Khaled Bagdache, refusant cette perspective, gagne l’U.R.S.S., sans que, dans l’immédiat, les relations Moscou-Le Caire paraissent en être affectées.

Les répercussions de l’événement

La naissance de la R.A.U. entraîne dans le monde arabe une réaction en chaîne. Le roi Sa‘ d d’Arabie, accusé d’avoir tenté par un complot d’empêcher l’union, doit abandonner ses pouvoirs de chef de gouvernement à son frère l’émir Faysal, alors en bons termes avec le Caire. Les monarchies hachémites d’Irak et de Jordanie se fédèrent à leur tour, le 13 février 1958, en une Union arabe. Le 8 mars, le Yémen constitue avec la République arabe unie les États arabes unis, unité sans consistance ni lendemain. Le Palestinien Hadj Am 稜n al-Husayni demande que ses compatriotes, notamment ceux de Gaza, puissent constituer une branche de l’Union nationale en formation. La vague nationaliste arabe provoque, cette même année, le premier éclatement du Liban (février-octobre) ainsi que l’écroulement du royaume hachémite d’Irak (révolution du 14 juillet). Mais la situation est stabilisée dans ce premier pays à la suite de tractations diplomatiques appuyées par l’envoi d’observateurs de l’O.N.U. et le débarquement de marines américains, tandis que des parachutistes britanniques aident, à ‘Amm n, le roi Hussein à conserver son trône. En Irak, les révolutionnaires, loin de s’aligner sur Le Caire, se posent bientôt en rivaux avec le soutien intéressé des partis communistes locaux et de l’U.R.S.S.

Tous ces événements ont des répercussions en R.A.U. Ils obligent Nasser à resserrer, dès octobre 1958, son emprise sur la province nord. Cette politique de contrôle et de centralisation accrue provoque un conflit avec les ba’thistes qui avaient été les principaux artisans de l’unité. Leurs ministres quittent leur poste dans l’exécutif. Les officiers membres du parti sont mutés dans la province sud où, inemployés, ils complotent et organisent les structures clandestines grâce auxquelles ils s’empareront du pouvoir en Syrie quelques années plus tard. Les militants sont écartés des rouages de l’Union nationale. La répression s’abat d’autre part sur les communistes qui font connaître à l’étranger leur désaccord sur la forme que prend l’Union. Cette tension affecte cette fois à plusieurs reprises les rapports avec l’U.R.S.S. sans toutefois que l’aide économique et militaire soit interrompue. Mais l’opposition déclarée des communistes arabes et larvée de Moscou durera en fait autant que la période d’unité.

La liesse et l’unanimité qui étaient apparues lors de la première visite de Nasser à Damas (24 févr.-16 mars) font bientôt place à la grogne, aux oppositions et aux dissensions. Une sécheresse persistante affecte les récoltes, phénomène important dans un pays encore à prédominance agricole. Le contrôle du commerce extérieur, la réforme agraire, l’emprise croissante de la bureaucratie égyptienne, la centralisation très poussée d’un pouvoir situé à 1 000 kilomètres plus au sud accroissent les tensions. Pour parer au mécontement, puis au retrait volontaire des ministres ba’thistes, Nasser envoie d’abord sur place le maréchal Amer puis, de guerre lasse, charge le 20 septembre 1960 d’un véritable proconsulat le colonel syrien A. H. Serra face="EU Caron" ギ, ex-chef du 2e Bureau avant 1958. L’«égyptianisation» de tous les secteurs de la vie culturelle et économique se poursuit. Une Assemblée nationale, prévue par la Constitution, est désignée par le chef de l’État, le 18 juillet 1960 (400 députés pour la province sud, 200 pour la province nord). La clause de l’article 13 de la Constitution n’est toutefois pas respectée. Elle prévoyait que la moitié des nouveaux parlementaires syriens devait être prise parmi les membres du parlement dissous au moment de l’unité. Or quarante-six d’entre eux seulement se retouvent dans l’Assemblée.

Le 24 mai 1960, la presse, malgré son conformisme absolu, est nationalisée dans toute la R.A.U., où le pouvoir tente de rallier le peuple à son projet d’une société «démocratique socialiste et coopérative», sorte de neutralisme institutionnel à mi-chemin du libéralisme occidental et du marxisme soviétique, troisième voie offerte en exemple aux nations du Tiers Monde.

Soutien du G.P.R.A. (Gouvernement provisoire de la République algérienne), des nationalistes d’Aden et des émirats du sud de l’Arabie, l’Égypte est présente partout, particulièrement en Afrique. Elle resserre ses liens avec le Gh na, la Guinée, le Mali, qui formeront même, avec le Maroc, la R.A.U. et le F.L.N., le Groupe de Casablanca. Elle appuie au Congo Patrice Lumumba puis Antoine Gizenga contre Joseph Kasavubu et envoie un corps de parachutistes égyptiens participer aux forces de l’O.N.U. dépêchées là-bas pour stabiliser le pays. Une conférence économique afro-asiatique se réunit au Caire (8-11 décembre 1958). Nasser se rend en Inde et au Pakistan (29 mars-16 avril 1960), revoit le président indonésien Soekarno, rencontre fréquemment le maréchal Tito, se rend à l’O.N.U. du 23 septembre au 3 octobre, participe à la conférence de Casablanca (4-7 janv. 1961) où est adoptée une Charte africaine, accueille au Caire la Troisième Conférence des peuples africains (25-31 mars 1961) et la Conférence préparatoire des pays non alignés (5-13 juin 1961), dont le sommet groupera à Belgrade, du 1er au 6 septembre, vingt-trois pays plus le G.P.R.A.

L’aide soviétique se poursuit.

Les relations avec l’Amérique de John F. Kennedy tendent à s’améliorer, et Washington envoie des céréales payables en devises locales. L’Office national italien des hydrocarbures (E.N.I.) signe un accord avantageux de recherche et d’exploitation pétrolières. Le Japon propose l’élargissement du canal, qui rapporte désormais plus de quarante millions de dollars par an (seize fois plus que l’Égypte n’en recevait de la Compagnie).

Nouvelles réformes

La progression de l’économie est l’autre grande préoccupation du régime. Le plan 1960-1965 prévoit 1 513 millions de livres égyptiennes d’investissement. La sécheresse qui sévit depuis 1958 en Orient confirme, s’il en était besoin, les planificateurs dans l’idée que l’industrialisation est seule en mesure d’assurer la diversification de l’économie, d’équilibrer dans l’avenir importations et exportations, d’absorber l’excédent de main-d’œuvre des régions rurales, d’élever le niveau de vie des masses, de renforcer le prestige national. Aussi un tiers des investissements est-il alloué à l’industrie, qui reçoit une dotation supérieure à celle de tout autre secteur, y compris le barrage d’Assouan. De nouvelles usines dans toutes les branches industrielles doivent être construites: filatures et tissages, industries alimentaires, chimiques, pharmaceutiques. De même, les recherches minières et pétrolières doivent être développées.

Mais le budget de l’État ne peut fournir que le tiers des investissements prévus pour la première année du plan quinquennal. Ni la réforme agraire ni le contrôle de la construction et de la Bourse n’ont réussi à détourner les possesseurs de capitaux de la spéculation immobilière et boursière et à les amener à investir dans les nouveaux projets industriels. Aussi le gouvernement s’engage-t-il sous des prétextes divers dans la voie des nationalisations: celles de la Banque nationale d’Égypte et de la banque Misr en mai 1960, celles des entreprises de transport urbain à la même date et celles des transports routiers de Basse-Égypte en janvier 1961, celles des entreprises belges en décembre 1960, en relation avec les événements du Congo. En février 1961, le contrôle des changes est institué dans la province syrienne. En un mois, une véritable révolution affecte la province nord, qui est dotée d’une taxation générale des prix et d’un plan d’importation. Les établissements de crédit sont nationalisés, les bénéfices commerciaux limités, les avoirs syriens à l’étranger réquisitionnés. L’intégration économique des deux provinces de la R.A.U. est alors pratiquement réalisée.

Quelques mois plus tard, en juillet, le secteur public est élargi dans les deux provinces par la nationalisation de tout le commerce extérieur et de pratiquement tous les établissements industriels et sociétés de transport. L’État met fin à ce qui faisait la richesse de la bourgeoisie égyptienne, les transactions sur le coton. Seul le commerce intérieur relève encore du secteur privé. Une nouvelle loi sur la propriété foncière ramène à 100 fedd ns au lieu de 200 – soit à 40 hectares environ – le plafond de la propriété individuelle. Un autre décret réduit de 50 p. 100 les dettes contractées par les paysans ayant acheté des terres après la réforme agraire de 1952. Un certain nombre de mesures constitue une véritable redistribution du revenu national: octroi de 25 p. 100 des bénéfices des sociétés aux employés et aux ouvriers, renforcement de l’impôt progressif sur le revenu, accroissement des barèmes d’impositions de la propriété bâtie, limitation de la rémunération individuelle des fonctionnaires et du personnel de direction. Les conseils d’administration sont invités à ouvrir leurs portes à un représentant du personnel employé et à un délégué de la main-d’œuvre ouvrière. Interdiction est faite à quiconque d’occuper plus d’un emploi rétribué. La durée de la semaine de travail est limitée à 42 heures dans plusieurs centaines d’entreprises qui doivent procéder à de nouvelles embauches dans un délai d’une année. Ces lois socialistes de juillet 1961 ménagent cependant encore le particularisme syrien. Leurs dispositions ne visent, dans la province nord, que les sociétés ayant un capital supérieur à deux millions de livres syriennes, concentrées entre les mains d’un petit nombre de personnes.

Ces grandes réformes économiques opérées, le gouvernement se préoccupe de renforcer la cohésion politique de l’État. L’essai de la formule d’animation des masses tenté en 1960 avec la mise en place des divers rouages de l’Union nationale et la désignation de l’Assemblée nationale est peu concluant. Les cadres du mouvement unique tout comme les députés apparaissent au public comme de véritables fonctionnaires ne représentant guère le peuple. Dans la plupart des cas, les élus des paysans sont les chefs de village dont ils dépendaient dans le passé ou des employés de coopératives n’appartenant pas eux-mêmes au monde rural. La représentation des ouvriers, guère plus satisfaisante, est très inférieure à leur nombre dans la société. L’Assemblée nationale a une influence presque nulle sur la vie du pays. Elle doit en principe élaborer dans un délai d’un an la constitution définitive. Au mois de juin 1961, les réunions qui devaient se tenir dans les provinces pour préparer le congrès général de l’Union nationale sont repoussées, les responsables se rendant compte que l’exécution des résolutions adoptées par le dernier congrès n’avait guère avancé. Même inertie dans les conseils municipaux et régionaux de l’administration locale. Le calendrier politique initialement prévu est retardé d’au moins six mois. Les réquisitions de denrées aussi importantes pour la consommation populaire que le blé en Syrie ou les fèves en Égypte ne laissent dans le même temps aucun doute sur l’ampleur des difficultés économiques dans lesquelles se débat la R.A.U.

Le 16 août 1961, Nasser décide de renforcer encore la centralisation de l’État. À la faveur d’un remaniement du gouvernement, les comités exécutifs des deux provinces nord et sud sont supprimés. Un seul cabinet siégera au Caire. Le régime égyptien de l’administration locale est appliqué à la Syrie à compter du 31 août 1961. L’Union nationale elle-même ne compte plus, le 19 septembre, qu’une direction unique. Cette réduction de l’entité syrienne à une série de gouvernorats dépendant chacun désormais directement du Caire provoque, à Damas, le coup d’État du 28 septembre 1961, facilité par la disgrâce concomitante du colonel Serra face="EU Caron" ギ, sur lequel tout le dispositif de sécurité syrien reposait. La revendication du maintien d’une certaine autonomie présentée initialement par les militaires révoltés bute sur l’intransigeance du Caire. Nasser envisage un moment de mener une opération de force; mais, se refusant à faire couler le sang arabe, il se reprend assez vite. La sécession syrienne devient un fait accompli.

Après la sécession syrienne

Épreuve pour la nationalisme arabe, l’éclatement de la R.A.U. constitue aussi la première défaite majeure pour Abdel Nasser et son régime. Le 16 octobre 1961, le chef de l’État prononce un discours en forme d’autocritique dans lequel il met habilement l’accent sur l’affliction qu’il ressent. Il rappelle que les Syriens étaient à l’origine de l’Union, que lui-même se montrait alors très réservé, et dresse un bilan avantageux de l’œuvre commune effectuée en plus de trois ans. Il déclare ne pouvoir accepter la situation nouvelle que si le peuple syrien se prononce clairement en ce sens. «Nous avons surestimé notre puissance et nos possibilités en sous-estimant celles de la réaction», annonce-t-il en conclusion. Cette analyse entraîne l’Égypte dans la troisième étape de la révolution. Dans les jours suivants, la confiscation des biens de toute une série de personnes, cataloguées globalement comme millionnaires, est décidée. La presse du Caire publie à partir du 19 octobre la longue liste de leurs noms en mentionnant la valeur des actions et des titres qu’ils possédaient. On peut, à cette lecture, constater que cette mesure touche bon nombre de Libanais ou de Syriens installés depuis plusieurs générations déjà dans la vallée du Nil, ainsi que des Grecs, des Arméniens et des Juifs. Dans le même temps, huit cents personnalités du monde des affaires et de la politique sont arrêtées ainsi qu’une centaine d’officiers issus ou alliés des familles possédantes. Des commissions spéciales sont chargées, le 4 décembre 1961, d’étudier les comptes des organismes généraux, sociétés anonymes, coopératives, entreprises privées, afin d’y découvrir les bénéfices illicites. Dix mille individus, qualifiés de voleurs, repris de justice, prostituées, trafiquants de tous ordres, sont envoyés dans des camps de rééducation spécialement ouverts à leur intention. Par ailleurs, un certain nombre de décisions sont prises en faveur des masses. À l’occasion de la rentrée universitaire, le recteur d’al-Azhar déclare, le 28 octobre 1961, que l’enseignement sera désormais gratuit dans toutes les facultés. Les loyers des maisons d’habitation sont réduits le 2 novembre de près de 20 p. 100. Des repas populaires sont servis aux ouvriers de l’Organisme économique pour un prix dérisoire. La ration de sucre est portée à 750 grammes par personne. Un décret présidentiel fixe, le 1er décembre 1961, à 15 piastres le prix de la mesure de maïs (kaïla ) revenant à 34 piastres au gouvernement. Celui-ci décide en outre, en fonction du contexte politique, d’abandonner les 70 millions de livres d’impôts sur la récolte de coton, d’ailleurs fort compromise par l’incurie administrative: les insecticides n’ont pas été importés à temps ou se sont révélés inefficaces contre le ver du coton, qui s’attaque même aux fèves et aux oignons, base de la nourriture des fellahs.

Cette action contre les possédants, ces mesures en faveur des déshérités ne s’adressent pas seulement aux habitants de l’Égypte. Par-delà ses concitoyens, le chef de l’État vise en fait les masses arabes qu’il invite à se dresser contre la «réaction» et l’«impérialisme» alliés pour favoriser l’éclatement de la R.A.U. Un nouveau poste de radio, la Voix de la nation arabe, appelle les masses des pays voisins à lutter contre leurs dirigeants. C’est dans ce climat que les membres de la mission diplomatique française au Caire et un certain nombre d’Égyptiens sont arrêtés sous l’inculpation d’espionnage. Le procès sera ajourné sine die et les accusés libérés en avril après le cessez-le-feu intervenu en Algérie, préludant à l’indépendance de ce pays. Le régime cherche par ailleurs à relever son prestige en procédant, avec le concours de scientifiques allemands, au lancement, le 8 novembre 1961, d’une fusée expérimentale. Il s’agit de montrer que la R.A.U. – l’Égypte garde en effet cette appellation – est toujours à la tête des nations arabes pour tout ce qui touche au progrès. De même, la visite, les 18 et 19 novembre, du maréchal Tito et du pandit Nehru, avec lesquels Nasser a une série d’entretiens, vient souligner que Le Caire conserve une place éminente sur la scène internationale.

Le gouvernement a été remanié dès le 18 octobre 1961. Quatre des quatorze ministres syriens choisissent de rester au Caire mais ne se voient confier aucun poste. Les deux cents députés de l’ex-province nord donnent en revanche leur démission en bloc, ce qui entraîne la dissolution de l’Assemblée nationale qui était en fonction depuis 14 mois. Vingt-huit portefeuilles sont pourvus de titulaires égyptiens, regroupés sous l’autorité des cinq vice-présidents de la République, tous anciens compagnons du Conseil de la révolution, qui deviennent responsables des grands secteurs de l’activité gouvernementale. Un décret présidentiel institue, le 16 décembre, un Office central de la planification. Le texte énumère 70 organismes et 370 sociétés nationalisées dont l’administration relève de 13 ministères. La «bourgeoisie d’État» tente de digérer ses nouvelles acquisitions. Parallèlement à cette réorganisation de l’appareil d’État, les dirigeants se préoccupent du mouvement populaire. Dans son discours du 16 octobre 1961, le président Nasser avait déclaré: «Nous avons essuyé un grave échec dans l’organisation populaire en ouvrant les portes de l’Union nationale aux forces réactionnaires. Nous n’avons pas exercé d’efforts suffisants pour éduquer les masses...» Ce problème retient l’attention du Conseil des ministres au cours de dix réunions successives, au terme desquelles le président décide, le 4 novembre 1961, de faire procéder à une étude des moyens à mettre en œuvre pour mobiliser les forces populaires. Celle-ci aboutit à la décision de convoquer un congrès national des forces populaires, réunion préparée par un comité de deux cent cinquante personnes choisies parmi les cadres du régime. Le comité préparatoire décide de priver neuf catégories de citoyens de leurs droits civiques, dont cinq définitivement et quatre provisoirement. Sont ainsi exclus: ceux qui ont collaboré avec les ennemis du pays, ceux qui ont commis des crimes contre la nation et ont été condamnés par le Tribunal du peuple, ceux qui ont été reconnus coupables de trafic d’influence ou d’avoir porté atteinte à la représentation nationale, les membres de l’ex-famille royale, les propriétaires à qui la loi sur la réforme agraire a été appliquée, les propriétaires de valeurs nationalisées, les personnes dont les biens ont été placés sous séquestre ainsi que toutes celles qui ont été internées pour délits économiques ou inculpées pour des raisons liées à la sûreté de l’État, enfin les syndicalistes qui ont causé des torts à la classe ouvrière. Le terrain ainsi déblayé, il est prévu l’élection du congrès, assemblée qui groupera les représentants de toutes les catégories sociales et sera l’autorité politique suprême. Les mille cinq cents membres de ce congrès sont élus, du 5 au 24 février 1962, par les diverses catégories de citoyens. Ne participent au vote ni les «isolés» cités plus haut, ni les membres de la magistrature, ni ceux de l’armée, ni enfin les umdeh (responsables de villages). Les élus (375 paysans, 300 ouvriers, 150 capitalistes «nationaux», 225 syndicalistes, 135 fonctionnaires non affiliés aux syndicats, 105 universitaires, 105 étudiants, 105 femmes), auxquels se joignent les membres du comité préparatoire, se réunissent le 21 mai 1962 au Caire pour écouter, six heures durant, le projet d’une Charte nationale, lu par Abdel Nasser. Ce document, dont le texte a été approuvé par le chef de l’État et son gouvernement, est un texte d’une centaine de pages, divisé en dix chapitres dont les deux derniers traitent de l’unité arabe et de la politique internationale. Il résume, d’une part, l’expérience du peuple égyptien et définit, d’autre part, l’œuvre à réaliser dans l’avenir. Il met l’accent sur la nécessité de construire une structure politique qui soit imperméable aux ennemis de la nation: l’impérialisme et la réaction arabe, responsables de la sécession syrienne. Il prévoit pour cela l’exclusion du mouvement politique unique de certaines catégories de citoyens, ainsi qu’un quota fixé à la moitié des sièges pour les représentants des ouvriers et des paysans dans les assemblées diverses. Il proclame sa foi dans un «socialisme scientifique» fondé notamment sur une planification rigoureuse et l’existence d’un secteur public important. En dépit de la référence aux contradictions sociales et d’une analyse des relations internationales très proche de celle des théoriciens marxistes, des différences fondamentales persistent entre ce «socialisme scientifique» et le marxisme-léninisme. La première réside dans le rejet de la notion de toute lutte violente des classes, la seconde, et ceci explique sans doute cela, est la référence persistante à la religion islamique et à son prophète. Le socialisme conçu au Caire n’est donc pas athée et n’accepte pas la philosophie matérialiste. Il se veut un nouvel humanisme, ouvrant une troisième voie entre l’Est et l’Ouest, valable pour les pays en cours de développement. Le dialogue qui s’établit à partir du 26 mai entre le président et les membres du congrès fait apparaître l’existence d’un courant islamique s’opposant à l’idée d’égalité des sexes, demandant la prohibition des boissons alcoolisées, s’efforçant d’obtenir que l’islam soit proclamé religion d’État. Le principal porte-parole de cette tendance est un professeur de théologie d’al-Azhar, âgé de cinquante-cinq ans, Mohammad el-Ghazali, président de l’association «Les Fils du Coran». Il avait appartenu jusqu’en 1947 aux Frères musulmans; pris comme cible par les éléments modernistes de la presse, il réagit, et à son appel, le 1er juin 1962, six mille étudiants, ouvriers, petits employés, manifestent pour défendre les valeurs islamiques. Pour mettre un terme aux pressions qui s’exercent de toute part pour faire aboutir plus de 500 propositions, le congrès est ajourné le 6 juin jusqu’à la fin du mois. Le 30 juin, il se réunit à nouveau, en l’absence du chef de l’État cette fois, pour approuver par acclamation la Charte telle qu’elle avait été initialement présentée. Ainsi, le congrès des forces populaires semble avoir été en définitive un moyen employé par les gouvernants pour diffuser leur programme dans le pays et percevoir les réactions des représentants de celui-ci à leurs nouvelles initiatives.

Le 24 septembre 1962, le chef de l’État annonce, dans un grand discours radiodiffusé et télévisé, la deuxième étape de la réorganisation de l’appareil gouvernemental, fondée sur les principes de la Charte, étape qui doit aboutir à la création d’un mouvement de masse, l’Union socialiste arabe. Trois jours plus tard, une proclamation constitutionnelle modifie les structures du pouvoir exécutif pour lui donner une allure collégiale, en réaction peut-être aux critiques, diffusées dans le monde arabe par les Syriens, de la personnalisation excessive du pouvoir, lors de la phase de l’unité. Un Conseil présidentiel de douze membres dont dix anciens Officiers libres impulse et contrôle l’action du gouvernement. Un Conseil de la défense enfin regroupe auprès du chef de l’État les responsables des forces armées, des services de renseignements et le ministre des Affaires étrangères.

Au cours des mois qui suivent, l’Union socialiste arabe est mise sur pied: comités de base dans les villages, les quartiers urbains ou les lieux de travail; comités et conseils populaires dans les districts puis dans les provinces; enfin Congrès général pour toute la R.A.U. Celui-ci reçoit pour mission d’élire les membres d’un Conseil exécutif supérieur, d’établir la Constitution permanente, de préciser les modalités d’élection de la future Assemblée nationale. En outre, un dispositif politique secret, dont les membres sont recrutés selon des modalités connues des seuls dirigeants, est créé au sein du mouvement. Le choix entre un parti d’avant-garde suggéré par la pratique des régimes marxistes-léninistes et l’organisation de masse englobant la très grande majorité de la population, conception proche de l’Umma (la communauté islamique), est repoussé. Le pouvoir tranche le dilemme en renouant avec ses origines: une société secrète, sorte de système nerveux, est constituée pour agir cette fois non plus au sein de l’armée, mais au milieu du peuple tout entier.

Un environnement instable

Tandis que se poursuit, dans la vallée du Nil, la construction socialiste, la crise bat son plein dans l’Orient arabe. La R.A.U. a envoyé, en juin 1961, un contingent de troupes pour protéger, avec la Grande-Bretagne, l’Arabie Saoudite et la Jordanie, l’indépendance toute nouvelle du Koweit, territoire revendiqué par l’Irak. L’admission de l’émirat à la Ligue arabe, le 20 juillet 1961, entraîne le retrait de Bagdad. Le premier semestre de 1962 marque un paroxysme: journaux et stations radiophoniques échangent insinuations, accusations, diatribes. Le Caire attaque les dynasties hachémite et saoudite au nom du socialisme arabe. La Jordanie et l’Arabie Saoudite, invoquant les principes de l’islam, ripostent en dénonçant les nationalisations comme des spoliations. L’imam Ahmed du Yémen, après avoir reconnu la nouvelle république arabe syrienne, critique, lui aussi, l’orientation socialiste du président Nasser dans un poème lu à la radio de Sana’a. Le chef de l’État égyptien réplique en dénonçant, le 26 décembre 1961, le lien théorique qui unissait les deux pays depuis 1958. La crise culmine lors de la session de la Ligue arabe qui se tient en août 1962 à Chtaura (Liban). L’Égypte est, pour la première fois, mise en difficulté pour ses agissements contre le régime sécessionniste syrien, dans cette organisation dont elle abrite le siège. Le pire est évité lorsque le mandat du secrétaire général, l’Égyptien Abdel Khalek Hassouna, est reconduit pour cinq ans. En septembre, le coup d’État du colonel Sallal au Yémen entraîne l’Égypte, au nom de sa théorie envisageant la réalisation de l’unité arabe par le rassemblement des forces progressistes, populaires et nationalistes du monde arabe contre les gouvernements arabes réactionnaires, dans une guerre où ses meilleures unités et ses ressources financières seront soumises à rude épreuve jusqu’en 1967. En outre, pour la première fois, l’armée égyptienne sera amenée à se battre contre des musulmans.

L’année 1963 commence avec deux renversements de régime, en Irak (8 févr.) et en Syrie (8 mars), auxquels les ba’thistes prennent une part importante. À peine maîtres du pouvoir, les conjurés, tous nationalistes arabes, se tournent vers l’Égypte pour tenter de constituer avec elle une fédération arabe qui tiendrait compte de l’expérience récente de la R.A.U. Des négociations tripartites s’engagent au Caire en mars 1963. De violentes manifestations pro-nassériennes éclatent dans les deux pays. L’un des objectifs du chef de l’État égyptien est de reconstituer d’abord l’union syro-égyptienne, puis d’associer ensuite l’Irak à cette entité ainsi ressoudée. Les ba’thistes irakiens s’opposent à ce dessein. Le second désir du raïs est d’obtenir que les partis soient dissous dans l’un et l’autre pays, afin que ne subsiste plus, dans la future union, qu’un seul parti qui serait la transposition du modèle égyptien. Les conversations sont tumultueuses, émaillées de rappels discourtois de la période passée. Après les visites au Caire des principaux responsables du Ba’th (les Syriens Michel Aflak et Salah Bitar, et l’Irakien Hasan al-Bakr) ainsi que celle du colonel Boumediène, venu pour expliquer le fonctionnement du F.L.N. algérien, les conversations aboutissent, le 16 avril 1963, à la signature d’un projet de fédération égypto-syro-irakienne qui devait être construite en deux ans et en trois étapes, et ouverte à toutes les républiques arabes. L’Algérie et le nouveau Yémen étaient en particulier invités à y adhérer. L’une des clauses de la déclaration conjointe appelait à la libération de la Palestine. En fait, la fédération ne vit jamais le jour.

Le problème palestinien resurgit dès la fin de l’année 1963 avec l’annonce par les Israéliens qu’ils sont prêts à utiliser l’eau du Jourdain pour développer leur implantation dans le Néguev. Ils ont réalisé pour cela, depuis 1959, une station de pompage au bord du lac de Tibériade, alimentant un système de canaux et d’aqueducs s’étendant jusqu’à la zone à développer. L’eau ainsi prélevée, affirment-ils, correspond à la part attribuée à leur pays par le plan Johnston, du nom du diplomate américain qui pensait en 1955, par un accord technique sur le partage des eaux du Jourdain, jeter les bases économiques d’un règlement politique du conflit israélo-arabe. La tension est aussitôt très vive dans la région. La Ligue arabe se saisit du problème. Nasser, dont les forces sont enlisées au Yémen, est contraint d’abandonner la ligne dure opposant les républiques progressistes aux monarchies conservatrices pour resserrer les rangs arabes devant le nouveau défi. Au cours de deux conférences au sommet, en janvier au Caire et en septembre à Alexandrie, il est mis au point un plan de détournement des affluents du Jourdain qui, en diminuant l’eau arrivant dans le lac de Tibériade, devrait compromettre les plans d’irrigation israéliens. Trois pays sont concernés par cette décision: la Jordanie, le Liban et la Syrie. Ils doivent être aidés financièrement par les autres pays arabes. Les deux premiers abandonnent très vite leurs travaux, qui ont suscité une sévère mise en garde d’Israël. Seule la Syrie persiste. Installations hydrauliques israéliennes et chantiers syriens deviennent les objectifs d’affrontements armés. Soumis à la surenchère de Damas – mais ne pouvant abandonner les républicains yéménistes encore trop vulnérables, car objets des pressions des tribus fidèles à l’imam al-Bakr soutenues par l’Arabie Saoudite – Nasser provoque, au sommet d’Alexandrie (5-11 sept. 1964), la création de l’Organisation de libération de la Palestine (O.L.P.), présidée par Ahmed Choukeiri, un juriste palestinien qui a surtout mené une carrière diplomatique au service de divers États puis de la Ligue arabe. En fait, très contrôlée par les services égyptiens, cette organisation se voit officiellement transférer la responsabilité de mener – sans moyens – la lutte pour la libération de la Palestine. Cette situation ne trompe pas un certain nombre de jeunes Palestiniens qui fondent au Koweit, vers 1959, une organisation secrète, «al-Fath». Celle-ci, inspirée par les exemples algérien, cubain et vietnamien, veut substituer la guerre populaire à la guerre conventionnelle, susciter une dynamique de la lutte, la libération de la Palestine étant considérée comme une étape décisive menant à l’unité arabe et non l’inverse. Al-Fath recevra, à partir de 1964, une aide des services secrets syriens et entreprendra, dès 1965, les premiers raids en Israël.

Prestige persistant sur la scène internationale et fragilité interne

Le chef de l’État égyptien poursuit, durant cette période, une intense activité diplomatique. Il accueille, du 9 au 25 mai 1964, Nikita Khrouchtchev en Égypte. Les deux hommes inaugurent la fin de la première tranche des travaux du haut barrage. Nasser est fait héros de l’Union soviétique et se voit décorer de l’ordre de Lénine. Il reçoit dans sa capitale le IIe Sommet de l’Organisation de l’unité africaine (O.U.A.) (17-21 juill. 1964) et le IIe Sommet des non-alignés (1-6 nov. 1964). Il provoque une grave crise entre la république fédérale d’Allemagne et les États arabes en révélant que Bonn a fourni pour 320 millions de deutsche Mark d’armes à Israël. Le chef de l’Allemagne de l’Est, Walter Ulbricht, se rend en Égypte, ce qui amène le gouvernement de Bonn à supprimer son aide à la R.A.U. le 9 mars 1965. Nasser a des entretiens avec Habib Bourguiba; mais, lorsque celui-ci, au cours de son déplacement en Orient, fait des propositions novatrices sur le problème israélo-arabe, il ne le suit pas, et les rapports se détériorent entre les deux pays. Un nouveau sommet arabe à Casablanca réaffirme les positions traditionnelles du monde arabe en la matière. Nasser reçoit en 1965 le Chinois Zhou Enlai, l’Indonésien Soekarno et le Pakistanais Ayub Khan, se rend en U.R.S.S., offre ses bons offices entre l’Inde et la Chine, visite le Gh na, le Mali, la Guinée, tente de trouver une nouvelle fois à Djedda un modus vivendi sur le Yémen avec le roi d’Arabie Saoudite Faysal qui a succédé à son frère Sa‘ d le 2 novembre 1964. Il visite pour la sixième fois la Yougoslavie, le 1er septembre 1965, et y rencontre pour la seizième fois Tito. L’année suivante, il aura des entretiens avec le chef du gouvernement soviétique, Alexeï Kossyguine, avec Indira Gandhi, à nouveau avec le maréchal Tito... Il accueille au Caire un colloque des pays progressistes et communistes d’Afrique.

Ce rôle éminent joué sur la scène internationale n’empêche pas son prestige de s’éroder dans le monde arabe ni la situation de se dégrader à l’intérieur. Dans les pays frères, il doit compter avec l’hostilité des monarchies wahhabite et jordanienne, avec l’opposition de Habib Bourguiba, la réserve marocaine et le soutien distant des Algériens. La Syrie ba’thiste est toujours incertaine. Seul l’Irak, où les deux frères Aref ont réussi à écarter le Ba’th, reste fidèle au Caire, mais le régime doit faire face à une contestation kurde passant par des phases virulentes d’opposition armée. L’aventure yéménite contribue pour une part considérable à la dégradation de la situation de la R.A.U. La croissance économique, relativement soutenue au cours du premier plan quinquennal (1960-1965), se ralentit. Les dépenses militaires, qui représentaient en 1960 7 p. 100 du P.N.B., dépassent 12 p. 100 de celui-ci en 1965.

Les relations entre Le Caire et Washington, améliorées par John F. Kennedy, se détériorent rapidement. Dès la fin de l’année 1964, le gouvernement américain se montre peu empressé à poursuivre les livraisons de blé, payables en monnaie locale, qui assurent une partie de la nourriture du peuple égyptien et permettent de consacrer les précieuses devises aux investissements. Les livraisons de céréales cessent de juin à décembre 1965. Elles reprennent en janvier 1966 pour six mois, à des conditions moins favorables, puis les États-Unis font savoir qu’ils n’entendent pas renouveler les accords passés en ce domaine. Le Caire doit désormais consacrer ses devises étrangères à l’achat des vivres indispensables. Il en résulte un déficit des comptes extérieurs. Les réserves de change déclinent de 223 millions de dollars à la fin de 1964 à 133 millions au début de 1967.

Mais la dégradation de l’économie égyptienne n’est pas liée aux seules causes déjà évoquées. Elle découle également d’un certain nombre de facteurs internes identifiés, dès la fin de l’année 1965, dans les colonnes de la presse, lorsque Zakaria Mohieddine remplace le 29 septembre Ali Sabri à la tête du gouvernement. Il dresse alors, dans une série d’exposés ou de conférences, un bilan de l’expérience économique nassérienne. Le diagnostic est sévère: formation insuffisante des cadres, absence d’études d’ensemble sur les relations entre les différents secteurs de l’économie, manque de coordination entre des projets pourtant interdépendants, prévisions erronées quant au montant des devises étrangères nécessaires à l’importation des biens d’équipement, des matières premières et des pièces de rechange, insuffisances de l’appareil statistique. Il souligne que la grande faiblesse du régime est la gestion défectueuse des entreprises du secteur public: prix de revient établi à la légère, qualité médiocre de certains produits dont l’exportation a dû être abandonnée, accroissement constant et injustifié de la main-d’œuvre dans certaines usines, baisse du rendement productif par suite de gaspillages, de négligences, de l’absentéisme des ouvriers atteignant parfois, sans raisons sérieuses, jusqu’à 50 p. 100 des effectifs... Il conclut en relevant l’absence d’esprit révolutionnaire ou plus simplement civique: dettes envers l’État des individus et des sociétés, et fuite devant l’impôt contribuent à augmenter la consommation intérieure déjà trop importante depuis la croissance en pouvoir d’achat d’une couche plus nombreuse de salariés. D’autres articles dénoncent le nombre élevé des fonctionnaires qui encombrent les services administratifs du Caire au détriment de l’administration locale. Cet appareil bureaucratique fait preuve d’un manque d’esprit d’initiative, de goût de la responsabilité, de conscience professionnelle.

Mohammed Hassanein Heikal, confident du raïs, pose le problème des stimulants nécessaires dans une gestion étatique: «Il faut insister un peu moins sur les sanctions conformément aux errements des dernières années et donner aux directeurs des raisons d’innover, aux exécutants des motifs d’agir avec zèle... Il faut notamment revoir les textes législatifs inadaptés à la réalité socialiste.» D’autres insuffisances se manifestent dans le domaine social. Certes, beaucoup a été fait pour l’élite intellectuelle et technique et une partie du prolétariat urbain; mais de nombreux citadins et la masse paysanne demeurent encore très démunis.

La stabilité du régime dépend au fond de la léthargie des déshérités, de leur résignation à admettre de ne pas participer plus vite à la révolution des besoins croissants, préconisée ailleurs dans le monde en ces années soixante. Abdel Nasser avait, dès 1958, attiré l’attention de ses concitoyens sur la distorsion existant entre les niveaux de vie à la ville et à la campagne. Huit ans plus tard, il découvre avec stupeur ce qui se passe encore dans les campagnes égyptiennes: infractions à la première et à la seconde loi de réforme agraire, crimes contre les opposants à la toute-puissance des «féodaux» locaux, enquêtes étouffées... La fin de l’année 1966 est marquée par une crise intérieure: pénurie de matières premières, hausse des prix, insatisfaction des ouvriers qui, sous prétexte d’épargne forcée, ne touchent pas leurs primes annuelles; déficit des organismes nationalisés. Le deuxième plan quinquennal 1965-1970 a dû être transformé, dès la première année, en un plan septennal moins ambitieux et remplacé, l’année suivante, par un programme triennal encore plus modeste. Au début de 1967, une grande purge administrative est entreprise. Elle intimide les partisans d’une nouvelle politique économique au sein du régime. En mars, une mission du Fonds monétaire international publie ses conclusions après une visite au Caire. Elles visent à réduire le train de l’État, à limiter la consommation intérieure, à augmenter les prix locaux. Le ver du coton, cette année encore, ravage les récoltes.

La multiplicité des objectifs poursuivis par le régime, au cours de ces quinze ans, sur le seul plan de l’économie est surprenante. Il a, en effet, envisagé tout à la fois de bâtir l’un des plus grands barrages du monde, de fertiliser le désert, de promouvoir une importante production industrielle, pour laquelle il aurait fallu disposer d’excédents budgétaires, de maintenir dans le même temps des bas prix à la consommation, d’assurer aux travailleurs des avantages sociaux importants et une participation aux bénéfices des entreprises, de créer le maximum d’emplois, de nourrir près d’un million de nouvelles bouches chaque année. Qui ne constate à cette énumération la discordance entre les visées et les moyens?

Vers une nouvelle confrontation

Du début de 1966 au mois de mai 1967, les incidents se multiplient non seulement à la frontière israélo-syrienne, mais surtout à la frontière israélo-jordanienne. Le 13 novembre 1966, un raid de représailles israélien contre le village jordanien de Samu’ fait 18 morts et 134 blessés. Le 7 avril 1967, les Syriens perdent plusieurs avions en combat aérien. Depuis le 23 février 1966, les éléments les plus durs du Ba’th ont chassé du pouvoir à Damas les chefs traditionnels. Plus déterminés que leurs aînés, ils lancent la Syrie dans une révolution socialiste radicale et veulent tester contre Israël les idées de guerre populaire. Après l’incident signalé plus haut, l’agressivité verbale augmente de part et d’autre. Informé, semble-t-il, par les Soviétiques que les Israéliens se préparaient à attaquer la Syrie le 17 mai, Nasser met, le 14 mai, l’armée égyptienne en état d’alerte et commence à renforcer son dispositif dans le Sinaï. Le 16 mai, il demande le retrait des forces de l’O.N.U. stationnées le long de la frontière et fait occuper leurs positions. Ces ordres visent à dissuader Israël et à répondre aux critiques des Syriens et des Jordaniens notamment, qui accusent le chef d’État égyptien de s’abriter derrière les Casques bleus. Le 22 mai, toujours mis au défi d’agir par les autres pays arabes, Nasser annonce la fermeture du détroit de Tiran à la navigation israélienne. Eilat, au fond du golfe d’Akaba, ne peut plus recevoir le pétrole en provenance d’Iran. Cette décision redonne au chef d’État égyptien, qui apprécie mal le rapport exact des forces militaires, la popularité dont il a bénéficié dans le monde arabe lors de la crise de Suez en 1956. Le 31 mai, le roi Hussein de Jordanie, pressé par son opinion publique en majorité palestinienne, se rend au Caire et signe un accord de défense avec l’Égypte. Le 1er juin, un gouvernement d’union nationale est formé en Israël. Cinq jours plus tard, la troisième guerre israélo-arabe commence par la destruction de la plus grande partie de l’aviation égyptienne au sol. Maîtres des cieux, les Israéliens occupent le Sinaï, la Cisjordanie et Jérusalem, la bande de Gaza, une partie du territoire syrien, le Golan. Le 10, tous les combats prennent fin. Israël contrôle un territoire triple du sien. Les armées arabes ont perdu plus de 30 000 morts. Les Égyptiens laissent, à eux seuls, 10 000 morts dans le Sinaï; 1 500 officiers ont été tués, 5 000 soldats et 500 officiers faits prisonniers, 40 pilotes ont été tués ou sont portés disparus. Quatre-vingts pour cent du matériel de guerre a été perdu, soit 600 chars, 340 avions, près de dix milliards de francs lourds d’armement et d’équipement. Les efforts déployés depuis douze ans pour doter le pays d’une force de défense sont annihilés.

3. Après la guerre de Six Jours

Le 9 juin 1967, Nasser, devant ce désastre, prononce une allocution devant la télévision, dans laquelle il annonce sa démission et son remplacement par un autre Officier libre, ancien ministre de l’Intérieur puis Premier ministre, Zakaria Mohieddine, considéré comme étant en bons termes avec les Américains. Des manifestations populaires au Caire, les 9 et 10 juin, en sa faveur amènent le chef de l’État à revenir sur sa décision. La tâche la plus urgente est de réorganiser les forces armées, très éprouvées par la bataille. Le 10 juin 1967, l’Assemblée nationale ayant confirmé les pleins pouvoirs accordés en mai, le haut commandement est remanié. Le maréchal Amer et son bras droit, le ministre de la Guerre Chams ad-Din Badrane, démissionnaires le 9 juin en même temps que le chef de l’État, sont remplacés, ainsi qu’un certain nombre d’officiers dans les trois armes qui sont mis à la retraite. Au total, 654 officiers sont écartés de l’armée et 300 des services de renseignements. Ces mesures prises avec détermination suscitent une tentative de réaction des intéressés qui se regroupent autour de la personne que l’on pense intouchable du maréchal Amer, compagnon du raïs depuis la sortie de l’école militaire et lié à lui par des liens familiaux. Une tentative de prise de pouvoir est mise sur pied. Mais le chef de l’État réagit promptement et brise la conjuration. Le maréchal Amer, invité à répondre aux questions du magistrat instructeur, met fin à ses jours par le poison le 14 septembre 1967. Dès lors, les cadres de l’armée, épurés et privés de celui qui avait été, depuis le début de la révolution, l’intermédiaire entre eux et le pouvoir, ne font plus parler d’eux sur le plan politique.

Plusieurs décisions prises à l’extérieur vont avoir une influence indirecte sur l’évolution de la vie politique. Le sommet des responsables arabes, réuni à Khartoum à partir du 28 août 1967, décide, en même temps que la reprise des fournitures de pétrole aux clients occidentaux, le versement à la R.A.U. et à la Jordanie d’une aide financière annuelle fournie par les principaux pays producteurs. Les participants s’engagent à ne pas reconnaître Israël, à ne pas négocier et à ne pas conclure de paix avec lui. Dans le même temps, un accord intervient entre le chef d’État égyptien et le roi d’Arabie Saoudite, prévoyant le retrait des forces dépêchées au Yémen par Le Caire en échange de la promesse de cesser la lutte contre le régime républicain dans ce pays. Les secours financiers apportés au moment de l’épreuve par les régimes monarchiques arabes, qualifiés la veille encore de réactionnaires et d’agents de l’impérialisme, interdisent désormais de poursuivre la lutte révolutionnaire sur le plan interarabe. L’adoption à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’O.N.U. de la résolution du 22 novembre 1967 comme programme de règlement du conflit israélo-arabe et l’acceptation de cette résolution par la R.A.U. impliquent par ailleurs une certaine prudence dans le domaine des relations internationales. La rénovation politique, dont dépendent d’ailleurs la sécurité et la solidité du front intérieur, devient donc prioritaire.

Consolider le front intérieur

Lutte contre les «centres de force», groupes de pression à l’intérieur du système, destruction des privilèges des militaires politiciens, désir de passer d’une société fermée à une société plus ouverte, réorganisation de l’Union socialiste arabe confirmée dans son rôle de pièce maîtresse du pouvoir sont les grands axes de la politique nouvelle, synthétisée dans le «programme du 30 mars» approuvé par référendum, le 20 mai 1968, par 99,98 p. 100 de oui. Mais la politique de libéralisation relative n’est pas sans soulever quelques remous: polémiques dans la presse dès le lendemain du désastre sur les garanties à accorder aux individus désarmés devant une bureaucratie omnipotente, agitation ouvrière et estudiantine dans la dernière semaine de février 1968 pour protester contre la légèreté des sentences frappant certains généraux responsables de la défaite, obligeant le pouvoir à lâcher du lest et à rejuger les inculpés. Le 20 mars 1968, le gouvernement égyptien est profondément remanié. Une nouvelle génération de ministres, hauts fonctionnaires, universitaires, accède au pouvoir. Mécontent du renvoi de plusieurs ministres, Zakaria Mohieddine, vice-président de la République, démissionne. Deux seulement des anciens membres du Conseil de la révolution, Hussein el-Chafei et Anouar el-Sadate, accompagnent désormais Abdel Nasser sur sa longue route. De nouvelles manifestations d’étudiants éclatent le 21 novembre 1968, se prolongent les jours suivants pour dégénérer en véritables émeutes le 25. Ceux-ci protestent contre une nouvelle loi règlementant plus strictement l’admission à l’université. Il s’agit là d’un problème crucial pour le régime qui a décidé, quelques années plus tôt, que tout titulaire d’un diplôme universitaire devait être employé par le secteur public. Les seuls fonctionnaires sont ainsi passés de 380 000 en 1960 à 1 600 000 en 1970, soit une progression de 400 p. 100 et celle-ci se poursuit, contribuant à rendre le pays difficilement gouvernable.

Face à cette contestation juvénile, le régime réagit par la répression (19 tués, 414 blessés, 462 arrestations dont 365 maintenues), par la suspension des cours dans les universités, mais aussi par des mesures de clémence et un désir accru de faire jouer leur rôle aux organisations représentatives. Les étudiants sont donc traduits devant des conseils de discipline et non des cours de justice. Les responsables justifient leur décision devant les 1 700 membres du Congrès général de l’Union socialiste arabe, dressant à cette occasion un bilan sans fard de l’état de l’éducation nationale. L’élection d’une nouvelle Assemblée nationale, les 8 et 13 janvier 1969, illustre les progrès relatifs faits par le régime dans la voie de la libéralisation. Les citoyens ont le choix à cette occasion entre plusieurs candidats, tous militants de l’Union socialiste arabe, mais n’ayant pas tous l’investiture officielle. Les personnes munies de cette précieuse recommandation s’assurent finalement neuf dixièmes des sièges. Mais les incidents répétés sur le canal de Suez, l’essor de la résistance palestinienne, les contacts pris entre les quatre Grands ramènent le conflit israélo-arabe au premier plan des priorités. Dès juillet 1967, des tirs sont échangés de part et d’autre du canal de Suez. Le temps aidant, les incidents deviennent plus fréquents et mettent en jeu des moyens de plus en plus lourds.

Sortir de l’état de «ni guerre ni paix»

En mars 1969, les duels d’artillerie deviennent quotidiens. Le 23 juillet 1969, le chef de l’État annonce qu’il a engagé contre Israël une «guerre d’usure». Cette stratégie correspond à trois objectifs: rétablir la crédibilité militaire de l’Égypte, en particulier vis-à-vis du monde arabe; démontrer aux grandes puissances, qui ont l’air de s’en accommoder, que le statu quo instauré en 1967 ne peut être accepté par Le Caire; convaincre enfin les Israéliens que l’occupation des territoires arabes sera d’un coût élevé en vies humaines et les enlisera dans des opérations statiques. À ce plan ceux-ci vont riposter en utilisant de plus en plus leur aviation, d’abord contre les batteries d’artillerie égyptienne dans la zone du canal, puis à partir de janvier 1970 contre des objectifs militaires mais aussi industriels situés sur tout le territoire égyptien. Ainsi s’instaure une véritable guerre qui fait de nombreuses victimes. Les villes de la zone du canal notamment sont détruites et leurs habitants obligés de se réfugier dans la vallée du Nil. Les armes égyptiennes se révélant incapables de s’opposer efficacement aux raids israéliens, Nasser se rend secrètement à Moscou pour demander aux dirigeants soviétiques de lui fournir une aide accrue. Ceux-ci envoient en Égypte des moyens supplémentaires et même des combattants (pilotes d’avion et servants de batteries de fusées anti-aériennes). Les Israéliens, qui commencent à subir des pertes aériennes plus importantes, redoutent l’accroissement de l’engagement soviétique, mal accepté par les Égyptiens qui voient leur défense dépendre un peu trop du bon vouloir de leurs hôtes. Les deux grandes puissances craignent d’être entraînées par leurs clients respectifs dans une confrontation directe. Cette conjonction d’appréhensions permet l’entrée en scène des diplomates. La concertation des quatre grandes puissances, commencée dès 1967, n’a abouti qu’à l’adoption de la résolution 242, dont le texte quelque peu ambigu, surtout si l’on en adopte la version anglaise, prévoit en gros la paix pour Israël contre la restitution aux Arabes des territoires occupés lors de la guerre de juin 1967. Elle a permis aussi la nomination d’un médiateur, le diplomate suédois Gunnar Jarring, chargé d’explorer pour le compte du secrétaire général de l’O.N.U. les possibilités d’une application de cette résolution. En 1969, le secrétaire d’État américain Rogers propose un plan de règlement par étapes grâce à des négociations indirectes. Cette éventualité est rejetée par les Arabes et les Israéliens. Mais en juin 1970, il récidive, suggérant un cessez-le-feu valable pour 90 jours, l’ouverture de négociations sous l’égide de G. Jarring, le retrait des troupes israéliennes et la réimplantation des Égyptiens sur la rive orientale permettant la réouverture du canal de Suez.

À la surprise générale, le second plan Rogers est accepté par Nasser, puis par Israël et la Jordanie. Il entre en vigueur le 7 août. Les négociations indirectes commencent à New York, mais les Israéliens s’en retirent dès le 6 septembre, alléguant que les Égyptiens avaient violé l’accord de cessez-le-feu en déplaçant des batteries anti-aériennes dans la zone du canal. Nasser, qui avait dû déjà, en novembre 1969, s’interposer entre le gouvernement libanais et l’O.L.P. dirigée maintenant par Yasser Arafat et devenue plus autonome après l’échec des États de la confrontation dans la guerre de Six Jours, intervient à nouveau dans la crise, qui éclate en septembre 1970 cette fois en Jordanie. Le chef d’État égyptien est pourtant souffrant. Il avait dû prendre pour la première fois trois semaines de congé en Géorgie, puis trois semaines de repos à Alexandrie en juillet 1968, interrompre à nouveau ses activités du 17 septembre au 12 octobre 1969 et se rendre en U.R.S.S. du 29 juin au 17 juillet pour y subir des soins. Il meurt à cinquante-deux ans, le 28 septembre 1970, d’une crise cardiaque, au lendemain du cessez-le-feu obtenu en Jordanie grâce à sa médiation. Les circonstances dans lesquelles intervient sa mort font de ses obsèques l’occasion d’une intense manifestation d’unanimité en Égypte et dans le monde arabe.

L’homme reste pour les Égyptiens et les Arabes le symbole de l’indépendance de son pays, l’artisan du développement économique de celui-ci, l’apôtre de l’unité arabe et de la libération de la Palestine occupée. Passionné depuis son adolescence par la politique, persuadé que l’histoire lui avait imparti un rôle dans cette région du monde, cet homme intelligent, habile mais renfermé, méfiant à l’excès, a sans doute sous-estimé les difficultés de ses entreprises.

Au moment de sa mort, son pays est lourdement endetté, les militaires soviétiques pèsent d’un poids aussi lourd que les Britanniques en 1954, la croissance économique est compromise depuis 1965, le canal est fermé à la navigation et les villes qui le bordent sont en ruine, le Sinaï est occupé par les Israéliens, les Palestiniens sont écrasés en Jordanie. La Ligue arabe a dû interrompre son Ve Sommet à Rabat le 21 décembre 1969 sur un échec. Mais l’histoire retient surtout de l’action des hommes politiques ce qu’ils ont signifié pour leurs contemporains. Nasser restera à ce titre l’homme qui a rendu leur fierté aux Égyptiens et aux Arabes à un moment tragique de leur histoire. Le problème de sa succession va paralyser pendant quelques mois la vie politique égyptienne et interrompre l’initiative diplomatique américaine, enrayée par ailleurs dès le 6 septembre 1970 par Israël.

4. L’Égypte après Abdel Nasser

L’héritage nassérien

Après les scènes de douleur collective qui marquent les funérailles de l’homme qui avait gouverné le pays pendant près de vingt ans, la vie continue. Le vice-président de la République, Officier libre, compagnon de longue date du raïs, du même âge, lui succède selon les dispositions prévues par la Constitution. Issu d’un père de souche paysanne et d’une mère soudanaise, Anouar el-Sadate a été l’homme lige du raïs, accomplissant un certain nombre de missions de confiance. C’est lui qui, le 23 juillet 1952, avait annoncé à la radio que les Officiers libres s’étaient emparés du pouvoir. Il a été, tour à tour, ministre d’État (1954), secrétaire général de l’Union nationale (1957), président de l’Assemblée nationale (1960 et 1964), président du comité préparatoire du Congrès national des forces populaires (1962), vice-président de la République (1964), membre du comité exécutif de l’Union socialiste arabe (1968), à nouveau vice-président de la République (1969). C’est encore lui qui annonce, en cette qualité, au peuple égyptien le 28 septembre 1970 la mort du chef de l’État. Il est réputé pour sa bonhomie, et son élection à la plus haute charge, le 15 octobre 1970, ne semble pas gêner les dignitaires de l’ordre nassérien qui ont tendance à le considérer et à le présenter aux observateurs étrangers au mieux comme un arbitre, surtout comme l’homme de la transition. En fait, trois grandes forces s’observent à l’heure de la succession. D’abord l’appareil d’État et son épine dorsale, l’armée, ainsi que les services de sécurité. Puis l’Union socialiste arabe, parti unique, et en son sein les militants plus ou moins clandestins qui en forment le système nerveux, mis en place au cours des années précédentes par Ali Sabri et son équipe. Il s’agit là d’hommes confirmés dans l’idée du rôle de premier plan que doivent jouer le parti et le secteur public socialiste, attachés également à l’alliance soviétique. Enfin, à l’arrière-plan, longtemps et à plusieurs reprises victimes de mesures de répression (de 1954 à 1965), les tenants d’un retour à l’islam, désignés globalement et souvent d’une manière impropre sous le nom de Frères musulmans. Ceux-là regardent vers l’Arabie Saoudite et la Libye, deux pays voisins où l’islam est à l’honneur et dont ils attendent encouragements et subsides. Le nouveau raïs hérite de son prédécesseur une économie en difficulté, une armée en cours de reconstitution peu apte encore à se battre, des négociations bloquées, laissant le pays dans un état de «ni guerre ni paix», des alliés arabes incertains. Il va asseoir son pouvoir en procédant avec une grande habileté.

Le programme qu’il présente le 7 octobre 1970 à l’Assemblée est celui de la continuité: libération des territoires par la recherche d’une solution politique, préservation des acquis de la révolution, fidélité au socialisme. Les gouverneurs de province sont confirmés dans leurs fonctions. Deux Officiers libres, Ali Sabri et Hussein el-Chafei, sont désignés comme vice-présidents de la République. Le choix du Premier ministre, Mahmoud Fawzi, le 20 octobre, confirme la volonté d’équilibrer les grandes tendances. Ce diplomate, ancien ministre de Nasser, en a été le conseiller pour les Affaires étrangères après la défaite. Il est plutôt considéré comme pro-occidental. Le nouveau gouvernement baisse les prix de certains produits de grande consommation, procède à des promotions de fonctionnaires, proclame sa volonté de dialogue et de libéralisation. Le 9 février 1971, en dépit des protestations soulevées, Sadate fait restituer leurs terres à 800 propriétaires et accorde une compensation en numéraire, étalée sur dix ans, aux cinq mille possédants touchés par la réforme agraire du 23 juillet 1969, qui avait réduit à 50 fedd ns au lieu de 100 les terres pouvant être possédées par un foyer. Les compagnies qui exploitent les terres récemment mises en culture ou bonifiées, contrôlant le plus souvent de grandes surfaces, devront désormais trouver chacune pour leur production des débouchés à l’intérieur du pays comme à l’extérieur. Cependant, pour assurer le passage à ce nouveau régime de compétition et de décentralisation, un organisme pour l’agriculture et le développement de la terre est tout de même créé, avec des secteurs spécialisés dans la planification, la sélection des semences, le drainage et la recherche. L’armée étant encore hors d’état de faire la guerre, le chef de l’État annonce en novembre 1970 la prolongation du cessez-le-feu jusqu’en février 1971. À cette date, il prend deux initiatives: le 4 février, il prolonge une nouvelle fois le cessez-le-feu et se déclare prêt à accepter la réouverture du canal si Israël accepte un retrait partiel de ses forces et un abandon de tout contrôle sur la rive orientale. Le 15 de ce même mois, il répond au questionnaire de l’ambassadeur Jarring, affirmant pour la première fois depuis la création de l’État d’Israël que son pays est disposé à arriver à un accord de paix avec l’État hébreu. Le gouvernement israélien ayant réaffirmé qu’il ne saurait être question d’un retrait sur les lignes d’armistice du 4 juin 1967, Anouar Sadate annule le cessez-le-feu tout en précisant que cela ne signifie pas pour autant la réouverture des hostilités.

Les Soviétiques et les voisins arabes

Les liens d’étroite collaboration avec l’U.R.S.S. semblent devoir se maintenir tels qu’ils étaient à la mort de Nasser. Le chef du gouvernement soviétique Alexeï Kossyguine a assisté aux funérailles du raïs. Au lendemain du référendum qui consacre l’accession de Sadate au pouvoir, le 15 octobre 1970, les dirigeants soviétiques lui adressent des messages de félicitations dans lesquels ils l’exhortent à poursuivre sur la même voie que ses prédécesseurs. En décembre 1970, Boris Ponomarev, secrétaire du comité central du Parti communiste de l’Union soviétique se rend au Caire. Cette visite est suivie de celle du vice-président de la République, Ali Sabri, à Moscou (20-26 déc.). Le président soviétique Nicolaï Podgorny assiste à la fête marquant l’achèvement des travaux du haut barrage d’Assouan. Il annonce au cours de sa visite (13-19 janv. 1971) que l’U.R.S.S. fournira à l’Égypte les fonds en devises convertibles (75 millions de livres sterling) ainsi que l’équipement et les techniciens pour entamer un programme d’électrification rurale, permettant d’éclairer, grâce à l’énergie produite à Assouan, de 3 500 à 4 000 villages, d’un coût total de 120 millions de livres sterling. Des discussions sont également engagées entre les experts des deux pays pour une éventuelle assistance nucléaire dans le domaine civil. D’autres accords prévoient la bonification des terres désertiques, la construction d’une série de petits barrages sur le Nil, l’édification de centrales électriques, la coopération culturelle. Le 1er mars 1971, le président Sadate effectue une visite secrète de 48 heures à Moscou, alors que la mission Jarring se trouve une fois de plus dans l’impasse après la proposition égyptienne de rouvrir le canal de Suez. À l’issue de ce voyage, il durcit sa position, refusant de proroger le cessez-le-feu, sans pouvoir cependant envisager la reprise des hostilités. Sur le plan interarabe, la situation laissée par son prédécesseur n’est guère meilleure. Contraint en 1964 de pratiquer une action commune contre Israël, Nasser s’était retrouvé à nouveau isolé en 1969 au sommet de Rabat, ses partenaires refusant de fournir des fonds supplémentaires à l’effort militaire et diplomatique du Caire. Homme à réagir promptement après un échec, il avait alors signé, avec les colonels Kadhafi et Nemeiri qui venaient de prendre le pouvoir respectivement en Libye et au Soudan, la charte de Tripoli. Cet accord du 27 décembre 1969 ne prévoyait pas une union organique, mais seulement un «front révolutionnaire» qui devait favoriser la coopération des trois signataires dans les domaines de la Défense, des Affaires étrangères, de l’Économie. À cet effet, des consultations trimestrielles au plus haut niveau étaient prévues. Des commissions spécialisées devaient élaborer plusieurs projets, notamment en matière économique et financière. Un quatrième partenaire vint bientôt se joindre à eux, la Syrie ba’thiste, qui participa à la réunion au sommet de Benghazi le 24 juin 1970. Il y fut envisagé de proclamer une union fédérale, mais les réserves du Soudan, préoccupé par ses problèmes internes, les hésitations de Nasser firent remettre la décision. Ce dernier mort à la tâche, Anouar Sadate, pour consolider son pouvoir, accepte le 8 novembre 1970, sous la pression de Kadhafi, de créer un commandement tripartite unique, formule assez souple pour concilier les divergences subsistant sur le projet de rapprochement. Un coup d’État militaire, qui porte au pouvoir à Damas, en septembre 1970, le ministre de la Défense, le général Hafez Assad, contribue à relancer le projet d’unité. En effet ce dernier, pour assurer sa suprématie sur le parti et la nation, se rend au Caire et y proclame, le 27 novembre 1970, l’adhésion de son pays au commandement tripartite. La polémique qui se développe en Égypte, en février et mars 1971, à propos de la prolongation du cessez-le-feu, entre partisans et adversaires d’un rapprochement avec les États-Unis incite Anouar Sadate à abandonner l’attitude prudente de son prédécesseur et à se désolidariser de la position attentiste du chef de l’État soudanais, hostile à toute construction prématurée. L’Union des républiques arabes est proclamée à Benghazi le 17 avril 1971 par les présidents égyptien, libyen et syrien. Par cet accord, Le Caire semble accepter les positions plus dures de ses deux partenaires sur le conflit israélo-arabe et revenir aux options définies à Khartoum en septembre 1967, excluant toute négociation avec Israël. L’accord de Benghazi définit les grands principes sur lesquels devait être bâtie la future union et précise les dispositions fondamentales qui devront régir les institutions communes. Une Constitution sera approuvée le 20 août 1971 et ratifiée massivement dans les trois pays par référendum, le 1er septembre suivant. Cette nouvelle tentative unitaire, pas plus qu’un essai de fusion entre l’Égypte et la Libye proclamée au début de l’année 1972, n’aura de début d’exécution. Bien au contraire: Kadhafi, se voulant l’héritier idéologique de Nasser, organisera, pendant l’été 1973, une campagne de persuasion dans la vallée du Nil et tentera une invasion pacifique avec 40 000 Libyens que les autorités égyptiennes arrêteront en menaçant d’utiliser la force. L’Union est proclamée, mais sa réalisation est renvoyée à une date indéterminée.

Ce rapprochement avec la Libye, qui met alors fortement l’accent sur l’islam, est l’un des éléments de la crise qui oppose, en avril et en mai 1971, Anouar Sadate au vice-président de la République, Ali Sabri, soutenu par les anciens hommes forts du régime nassérien. Les opposants, désireux de limiter les prérogatives du chef de l’État, préconisent le respect des orientations socialistes du régime à l’intérieur et un rapprochement accru avec l’Union soviétique à l’extérieur. Sadate, au contraire, tient le parti pour secondaire, dit en privé que la solution du conflit se trouve à Washington, souhaite voir se développer le secteur privé pour dynamiser l’économie. Ces divergences ne sont pas nouvelles. Depuis 1961, elles sont, comme l’écrit P. Mirel, au cœur du système nassérien. Mais, alors que son prédécesseur tentait de maintenir l’équilibre, Anouar Sadate tranche. Désavoué, le 29 avril 1971, par le parti sur le projet d’Union des républiques arabes, il réagit le 2 mai, en destituant Ali Sabri. Le 13 mai, après s’être assuré la neutralité de l’armée, il renvoie Charaoui Goma, ministre de l’Intérieur depuis 1966. Cinq ministres et trois membres influents de l’Union socialiste arabe démissionnent, croyant provoquer l’agitation de la rue. Ils sont immédiatement remplacés sans que quiconque ne se lève. L’armée et la police restent neutres. Trois anciens Officiers libres, Boghdadi, Kam l ad-D 稜n Husayn et Hasan Ibrahim, apportent leur soutien au chef de l’État. Les personnalités évincées seront accusées de haute trahison, de conspiration contre le chef de l’État et de détournement de fonds publics. Jugées, elles seront sévèrement condamnées dans l’indifférence générale. Les trois condamnations à mort contre Ali Sabri, Goma et Charaf seront commuées en peines de travaux forcés. Une vaste épuration de l’administration est entreprise. Huit mille personnes sont arrêtées et quatre-vingt-onze inculpées et jugées par un tribunal révolutionnaire qui les envoie en prison où elles resteront jusqu’en 1976. Seul Ali Sabri restera en détention jusqu’en mai 1981.

Anouar Sadate maître du terrain

Débarrassé de ses rivaux, le nouveau raïs annonce, le 15 mai, des élections libres, de nouvelles institutions, un nouvel État. Symboliquement, il fait brûler des enregistrements téléphoniques dans la cour du ministère de l’Intérieur et donne le premier coup de pioche pour la démolition du pénitencier de Tourah. Plusieurs centaines de Frères musulmans sont libérés, et 112 magistrats écartés en 1969 sont réintégrés dans leurs fonctions. De nouvelles élections ont lieu dans les syndicats, dans le parti, dont l’avant-garde clandestine est dissoute, dans l’administration locale dont les rouages sont refondus... Mais la Constitution du 11 septembre 1971 accentue les pouvoirs du président et renforce le caractère musulman du régime. Le nom de République arabe unie y est abandonné pour celui de République arabe d’Égypte. Si les élections à l’Assemblée nationale laissent une certaine liberté de choix, des grèves à Hélouan et à Choubrah al-Khaïma en août et septembre 1971, des manifestations estudiantines en 1972 et 1973 sont brutalement réprimées. En février de cette même année, 119 journalistes ou hommes de plume sont radiés du parti, ce qui leur vaut d’être révoqués pour «sabotage du front intérieur». Le 27 mars 1973, le président devient aussi chef du gouvernement. Faisant preuve tour à tour de fermeté ou de souplesse, il prépare l’épreuve de force avec Israël, qui doit permettre au pays de passer du nassérisme au «sadatisme», grâce à une politique basée sur «la science et la foi». Pour cela, il a encore besoin de l’U.R.S.S. qui fournit l’armement des forces égyptiennes. Aussi, quand Moscou, alarmé par l’élimination de ses plus fidèles partisans, dépêche sur place du 25 mai au 28 mai 1971 le président Podgorny, Sadate cherche-t-il à calmer les appréhensions soviétiques en signant un traité d’amitié et de coopération qui sera ratifié, le 1er juillet suivant, par les deux pays: valable 15 ans, il stipule notamment que les deux parties s’engagent à œuvrer, étendre et approfondir leur coopération dans tous les domaines, décident de se consulter régulièrement sur toutes les questions importantes et de prendre contact sans délai, en cas de développement pouvant constituer un danger pour la paix. Mais une nouvelle tension entre les signataires surgit, à la suite d’une tentative de coup d’État au Soudan, du 19 au 22 juillet 1971. L’Égypte contribue à son échec en soutenant militairement le président soudanais Nemeyri, qui procède à une sévère répression contre le Parti communiste soudanais, l’un des plus anciens et plus organisés du monde arabe. Pour dissiper le malaise, le chef de l’État égyptien se rend à Moscou, du 11 au 13 octobre 1971. Dans le communiqué commun qui clôt les entretiens, l’U.R.S.S. s’engage à accroître son aide militaire au Caire qui, de son côté, condamne l’anticommunisme et l’antisoviétisme de certains pays arabes. Plusieurs accords économiques sont signés entre les deux parties au cours des derniers mois de l’année. Ils portent sur une aide à la construction de plusieurs usines (d’aluminium produisant 100 000 tonnes par an à Nag Hammadi, de céramiques, de ciment, de textiles) et l’ouverture du 32e centre professionnel dirigé par des techniciens soviétiques. Le président égyptien se rend à deux reprises à Moscou, en février et en avril 1972. Ces visites sont suivies de celles de hauts responsables militaires dans les deux capitales et d’une ultime visite du Premier ministre égyptien Aziz Sedqi à Moscou, sans que puisse être réglée la question de la fourniture d’armement perfectionné à l’Égypte. Enfin, après que plusieurs chefs militaires ont manifesté leur irritation, des personnalités officielles accusent Moscou, le 19 mai 1972 au cours d’une table ronde organisée par le quotidien Al-Ahram , de ne pas faire confiance aux dirigeants égyptiens, d’être de connivence avec les États-Unis pour maintenir l’état de «ni guerre ni paix», de permettre l’émigration de Juifs soviétiques vers Israël.

Le 18 juillet 1972, Anouar Sadate rend publique sa décision de mettre fin à la présence des experts militaires soviétiques en Égypte. Il justifie sa décision dans un discours prononcé, ce jour-là, devant le comité central de l’Union socialiste arabe, en reprochant à l’U.R.S.S. de ne pas avoir fourni l’armement promis, mais aussi en rappelant que, depuis 1952, son pays avait refusé de se laisser confiner dans une sphère d’influence. Les experts militaires soviétiques se retirent en quelques jours. Leur nombre est estimé par des sources diverses à 20 000, répartis comme instructeurs dans les unités égyptiennes ou, au contraire, constituant des unités indépendantes (bases de missiles SA-3 ou escadrilles de Mig-21 et Mig-23). Les Soviétiques interrompent leurs livraisons d’armes, tandis que la presse du Caire entreprend une campagne contre l’U.R.S.S. La coopération économique et technique se poursuit cependant, marquée par de nouveaux accords. Après l’échec de nouvelles démarches pour aboutir à un règlement israélo-arabe, Sadate décide de reprendre les hostilités contre Israël avec l’aide de la Syrie. Il cherche, à cette fin, à se rapprocher de Moscou. Le Premier ministre Aziz Sedki se rend dans la capitale soviétique, du 16 au 18 octobre 1972, et affirme que son voyage a permis de dissiper les malentendus. Le commandement de l’armée est remanié. Le ministre de la Guerre, le général Mohammed Ahmed Sadek, connu pour son antisoviétisme, est écarté. Plusieurs généraux, dont le commandant de l’armée de l’air Husni Mubarak, se rendent en U.R.S.S. En janvier 1973, un commandement militaire unifié égypto-syrien est créé. Le président Sadate reçoit le 24 janvier 1973, pour la première fois depuis six mois, l’ambassadeur soviétique au Caire, Vladimir Vinogradov. La normalisation des rapports se confirme en février, avec l’arrivée d’une délégation militaire soviétique. Moscou reprend de façon limitée ses livraisons d’armes à l’Égypte. Le Kremlin veut éviter de s’aliéner un pays qui lui a été très utile de 1967 à 1972 comme plaque tournante vers le Nigeria ou l’Inde, ou comme lieu d’escale pour ses navires, et un État finançant ses achats de moins en moins par des crédits à long terme gagés sur les exportations de coton, mais de plus en plus par des dollars fournis au Caire par les pays arabes producteurs de pétrole.

Le voyage de Leonid Brejnev aux États-Unis, en juin 1973, inaugurant la politique de détente, incite les Égyptiens à passer à l’action, le 6 octobre 1973, avec le concours des Syriens qui attaquent dans le Golan. Les États arabes leur apportent en grande majorité leur soutien, en particulier les pays pétroliers qui utilisent l’arme du pétrole (embargo). Américains et Soviétiques interviennent dans le conflit en acheminant armes, matériels et munitions par pont aérien, et par voie diplomatique, une fois le cessez-le-feu obtenu non sans mal à partir du 22 octobre. Comme son prédécesseur en 1956, Anouar Sadate (dont la IIIe armée est, à la fin des hostilités, encerclée sur la rive occidentale du canal par les Israéliens), s’efforce de gagner politiquement la partie qu’il a failli perdre militairement. Ayant fait la guerre avec les armes soviétiques, il fera la paix grâce à la diplomatie américaine. Les navettes de Henry Kissinger entre les capitales intéressées permettent d’aboutir au désengagement des armées (accords sur le front égyptien des 18 janv. 1974 et 4 sept. 1975), à un retrait limité des Israéliens dans le Sinaï et à l’abandon par eux, dans une seconde phase, des puits de pétrole d’Abou Rodeïs. La remise en état du canal de Suez, sa réouverture à la navigation (5 juin 1975), la reconstruction des villes de Port-Saïd et de Suez deviendront alors possibles.

La marche vers la paix

Après la réunion d’une conférence à Genève (21 déc. 1973-7 janv. 1974), préludant aux désengagements dont il est question plus haut, et après une déclaration commune américano-soviétique du 1er octobre 1977, le nouveau président américain Jimmy Carter va rechercher durant un an un compromis entre les parties, rendu encore plus difficile par l’arrivée au pouvoir en Israël du parti du Likoud de Menahem Begin. Le voyage du président Anouar Sadate à Jérusalem, le 9 novembre 1977, préparé par une série de contacts secrets, veut instaurer un nouveau dynamisme dans les négociations en cours. Il repose sur un double pari: faire sauter les verrous psychologiques qui bloquent en Israël la négociation, obtenir le soutien durable de Washington et de l’Europe occidentale pour faire pression sur Jérusalem et obtenir une solution à la crise du Moyen-Orient. Pour cela, il faut changer l’image du monde arabe ou, du moins, celle de l’Égypte et la faire apparaître comme démocratique, tolérante, unie autour de son chef. L’initiative d’Anouar Sadate a un grand retentissement dans le monde, mais est réprouvée dans l’Orient arabe. Elle permet d’aboutir non sans péripéties et difficultés, grâce à l’obstination de Jimmy Carter, aux accords tripartites de Camp David (5-17 sept. 1978), c’est-à-dire à la signature de deux textes portant l’un sur la paix au Moyen-Orient, l’autre sur la paix entre l’Égypte et Israël, complétés par neuf lettres dites de clarification. Leur contenu est très nettement en retrait par rapport aux positions développées par Anouar Sadate lors de son discours devant le Parlement israélien. Il faut attendre encore six mois avant que de nouveaux pourparlers aboutissent à la conclusion du traité de paix égypto-israélien du 26 mars 1979, ratifié le 10 avril 1979 par le Parlement égyptien. À partir de là seront décidées plusieurs mesures de normalisation dans les relations entre les deux pays, allant de l’établissement de relations diplomatiques avec échange d’ambassadeurs (26 janv. 1980) jusqu’à l’évacuation totale du Sinaï par Israël le 21 avril 1982. En revanche, aucun accord minimal n’a pu être obtenu sur l’avenir des Palestiniens dans les territoires occupés, ce blocage coupant chaque jour davantage le chef d’État égyptien de ceux au nom de qui il prétendait traiter, ainsi que du monde arabe.

Initiatives et ruptures

Pour faire face à la politique d’Anouar Sadate, cinq conférences arabes, d’importance inégale, seront tenues (Tripoli, 2-5 déc. 1977; Alger, 2 févr. 1978; Damas, 19-21 mars et 20-23 sept. 1978; Bagdad, 2-5 nov. 1978) pour le dissuader d’aller dans la voie choisie. La dernière de ces conférences adopte des mesures de rétorsion contre l’Égypte: rappel des ambassadeurs, puis rupture des relations diplomatiques, retrait des capitaux investis dans le pays, dénonciation des accords internationaux signés en commun, départ du Caire de l’Union des républiques arabes, qui ne regroupe plus que la Libye et la Syrie. Les États du Golfe suspendent l’aide qu’ils accordaient depuis 1973 au Caire (deux milliards de dollars par an). Les Fonds arabes d’investissement font de même. Le siège de la Ligue arabe (dont le secrétaire général Mahmoud Riad, Égyptien, en désaccord avec son gouvernement, a démissionné) est transféré à Tunis (l’Égypte conteste cette décision, arguant qu’elle doit être prise à l’unanimité). Son appartenance à la Ligue arabe est suspendue et son éviction proposée du Mouvement des pays non alignés, de l’organisation de la Conférence des États islamiques et de l’Organisation de l’unité africaine. Mais cette unanimité, stimulée par le triple refus de Menahem Begin (non à la restitution de Jérusalem, non à l’évacuation de la Cisjordanie et de Gaza, non à un État palestinien), ne doit pas faire illusion. Les dissensions du monde arabe seront non pas atténuées, mais au contraire accentuées par le traité égypto-israélien. Les mesures de rétorsion prises contre le Caire, diplomatiques ou économiques, seront de portée assez limitée et pourront être contournées. La rupture ne sera jamais totale entre l’Égypte et le monde arabe. La politique adoptée par Anouar el-Sadate, faite de défis parfois provocants à l’égard de ses partenaires arabes au fur et à mesure que la crédibilité de sa démarche dans la recherche de la paix s’affaiblissait, comporte en revanche d’autres volets qui sont beaucoup mieux perçus par les États arabes modérés. Il s’agit de l’ouverture économique, du glissement de la libéralisation politique vers une affirmation des bases consensuelles du régime appuyée sur l’islam, enfin de la volonté d’apparaître de plus en plus comme l’allié stratégique des États-Unis d’Amérique dans la région. Le raïs n’hésite pas, sur ce dernier point, à s’opposer aux initiatives soviétiques en Afrique, à menacer l’ex-allié libyen qui se rapproche de Moscou, à soutenir les rebelles afghans, à accueillir le chah d’Iran proscrit partout, à adhérer au consensus stratégique, lorsque la nouvelle administration Reagan s’en réclamera.

L’ouverture économique al-Infitah , présentée comme le pendant du libéralisme politique, vise, à partir de 1974, à encourager les investissements arabes ou étrangers par la création de zones franches (9 juin 1974), à assouplir le régime des changes par la création, dès 1973, d’un marché parallèle pour la livre égyptienne et à faciliter les conditions du commerce extérieur par des aménagements apportés aux tarifs douaniers, à mieux insérer le pays dans les circuits de financement internationaux. On en espère une transformation plus dynamique du secteur privé et, par contagion, une revivification du secteur public. Or le plan de reconstruction pour 1974-1975 est un échec: la consommation publique dépasse les prévisions de 13,4 p. 100, mais celles de l’emploi et des exportations sont loin d’être atteintes. Le système de distribution publique s’effondre, tandis que le commerce privé reposant sur l’importation est en pleine expansion. Le gouvernement doit, pour calmer le mécontentement, hausser le salaire minimum de 30 p. 100 et abaisser le prix de quelques produits de base. La dette civile atteint 7 milliards de dollars. Un plan d’austérité est mis au point en 1976. Il se solde par un déficit budgétaire de 1,1 milliard de livres égyptiennes. En janvier 1977, le gouvernement, sur les conseils du Fonds monétaire international, se résout à supprimer les subventions accordées depuis les années cinquante à certains produits de grande consommation (sucre, farine, pétrole à usage domestique). Il provoque des émeutes qui ne sont contenues qu’au prix de soixante-dix-neuf morts. Il va s’en remettre dès lors de plus en plus à l’étranger pour assurer l’existence d’une population qui grossit au rythme d’une naissance toutes les vingt-cinq secondes. Une nouvelle loi, en 1977, accorde d’autres avantages aux capitaux étrangers: exemption d’impôts pendant huit ans, libre transfert des bénéfices et libre rapatriement du capital après cinq ans. L’investissement des capitaux étrangers en association avec des capitaux locaux, publics ou privés, est fortement encouragé. Protégées contre les nationalisations, les nouvelles entreprises qui en bénéficient ne sont en outre affectées ni par les règlements sur le commerce extérieur, ni par le droit du travail. Peu d’États ont adopté une législation aussi favorable. Les résultats obtenus seront médiocres, à l’exception de quelques secteurs (banques, tourisme, pétrole). En 1977, les capitaux étrangers ne représentent que 11 p. 100 de l’ensemble des investissements réalisés sur les 5,5 milliards de livres égyptiennes en projet, 20 p. 100 seulement étaient investis dans la production en 1979. Une tentative de réorganisation du secteur public par la «révolution administrative» (1977) n’entame guère la bastille bureaucratique édifiée au cours des ans. Les émeutes du début de l’année, les incertitudes sur la paix et l’avenir du régime, l’isolement régional du pays, son incapacité à modifier profondément sa politique économique incitent les investisseurs à la prudence. De 1973 à 1979, l’Égypte a reçu au total 18 milliards de dollars d’aide extérieure, dont 2 de l’Union soviétique et des pays de l’Est, 7 des pays arabes pour la seule aide civile, 1,7 milliard de l’Europe, 850 millions de l’Iran, 4 milliards des États-Unis, dont 1 milliard en dons et 3 en prêts... Après le boycottage arabe, elle reçoit chaque année en moyenne 400 millions de dollars de l’Europe et du Japon, 950 de Washington, 250 du F.M.I. et autant de la Banque mondiale. En 1981, cette aide occidentale s’élèvera à 2,8 milliards de dollars. La dette civile et militaire est passée de 10 milliards de dollars en 1975 à 14 milliards en 1979, dont les deux tiers en aide bilatérale. La dépendance alimentaire du pays s’est accrue, notamment pour les céréales. On doit acheter, en 1979, 5,5 millions de tonnes de blé aux États-Unis, soit l’équivalent de 70 p. 100 de la production et près de la moitié des céréales consommées dans le pays. Encore celles-ci ne constituent-elles pas la totalité des importations alimentaires. Sur 2 milliards de dollars d’importations de produits agricoles, cette même année, 650 millions environ représentaient la part des céréales. L’augmentation de la population urbaine, que l’on a tenté de dominer par la création d’une série de villes nouvelles envisagée à partir de 1976 et par l’aménagement de la nouvelle vallée, risque encore d’accroître ce déséquilibre. Le pays ne manque cependant pas d’atouts: il possède des ressources naturelles (phosphates, manganèse, sel, fer, pétrole et gaz) et agricoles, une main-d’œuvre abondante, une situation géographique exceptionnelle. Les revenus du pétrole lui apportent, en 1979, 1,7 milliard de dollars; le transfert de devises des travailleurs immigrés, plus de 2 milliards; les revenus du canal de Suez, 600 millions; le tourisme, 700 millions; l’exportation de coton et de textiles, 1 milliard de dollars, etc. Le plan quinquennal 1980-1984 prévoit 30 milliards de dollars d’investissements, dont 86 p. 100 destinés au secteur public, une priorité donnée aux communications (22 p. 100 des investissements), à l’habitat (18,5 p. 100), à l’agriculture (11,5 p. 100). Il envisage, de manière plus irréaliste, une progression annuelle de 10 p. 100 du P.N.B. et une réduction de 1 p. 1 000 par an du taux annuel de progression des naissances (28 p. 1 000). Sa réussite implique en effet une stabilité de la conjoncture internationale qui échappe aux planificateurs, ainsi que l’absence de troubles à l’intérieur, et cela est l’affaire du pouvoir.

L’abandon du libéralisme politique

Le régime, après avoir cheminé quelque temps sur la voie de la libéralisation, se durcit en effet et se replie sur lui-même après les émeutes de janvier 1977 et la signature du traité israélo-égyptien. Dès 1974, Hassanein Heikal, qui avait été le porte-parole de Nasser et le conseiller de son successeur, est écarté. Cependant ce départ est encore isolé. La ligne est toujours celle de l’ouverture politique. Les statuts de l’Union socialiste arabe sont en effet modifiés le 7 septembre 1975. Ils reconnaissent la libre adhésion mais excluent la création de partis politiques; ils permettent la reconnaissance de trois tribunes au sein du mouvement unique: la droite libérale, le centre gouvernemental et la gauche marxiste. Ni les nassériens, ni les Frères musulmans ne peuvent se présenter comme tels aux élections législatives qui ont lieu les 28 octobre et 4 novembre 1976, après qu’Anouar Sadate a été réélu président de la République, le 15 octobre 1976. La compétition est ouverte et active (1 660 candidats se disputent les 350 sièges de l’Assemblée, 10 étant nommés par le chef de l’État). Le centre, bénéficiant du quasi-monopole de l’information et du soutien des institutions officielles, obtient 292 sièges, la droite 14, la gauche 4. La surprise vient de l’élection de 50 députés indépendants qui, par leur présence, montrent la volonté de changement de certains électeurs. Quelques mois plus tard, le président accepte, le 11 novembre 1976, la formation de partis politiques. Mais après les émeutes de janvier 1977, le régime se durcit. Un décret du 3 février réprime sévèrement manifestations et grèves. Une loi du 2 juillet 1977 précise que le comité central de l’ancienne Union socialiste arabe devient à la fois une instance consultative pour la création des partis et un organe de contrôle de leurs activités. Ainsi pourront être respectés «l’unité nationale, la paix sociale, l’alliance des forces laborieuses, les principes du socialisme démocratique et les acquis du socialisme». Frères musulmans et marxistes sont exclus comme groupes organisés car «aucun parti ne peut se fonder sur une classe ou une religion». Le 4 février 1978, le néo-Wafd est autorisé à se former, mais il se saborde dès le 2 juin suivant. Dans l’intervalle ont été en effet adoptées par référendum, le 21 mai 1978, des mesures d’exception sur la «protection du front intérieur et de la paix sociale». Une loi du 2 juin 1978 exclut un certain nombre de personnes de la vie politique, de l’administration et de la presse (politiciens d’avant 1952, condamnés par le Tribunal de la révolution en mai 1971...). Les partis autorisés sont le Parti socialiste d’Égypte (P.S.E.) majoritaire, qui deviendra le Parti national démocrate (P.N.D.), le Parti libéral socialiste (P.L.S.), le Parti du rassemblement national progressiste et unioniste (P.R.N.P.U.). Le référendum du 19 avril 1979 sur les accords de paix et le renforcement de la démocratie prévoit la dissolution de l’Assemblée. De nouvelles élections ont lieu les 7 et 14 juin 1979. Le parti du président et un mouvement d’opposition constructive qu’il a suscité, le Parti socialiste du travail (P.S.T.), obtiennent, à eux deux, 96,9 p. 100 des sièges. Les grands ténors politiques de la gauche ou des indépendants seront absents de l’Assemblée. Le 1er mai 1980, un amendement à la Constitution est voté, rendant possible le renouvellement illimité du mandat présidentiel. La loi islamique Shari’a devient la source principale de la religion. La loi sur l’éthique du 29 avril 1980, appelée par l’opposition «loi de la honte», la révision constitutionnelle du 22 mai 1980 qui crée une deuxième Assemblée de deux cent dix membres, dont les deux tiers sont élus au suffrage universel direct et dont un tiers est nommé par le président de la République, restreignent encore la liberté d’expression et le pouvoir de contestation. Désormais ne subsistent que l’opposition larvée du Conseil d’État et des juristes et celle des exclus du jeu politique. En juillet 1980 est institué un tribunal des valeurs qui jugera les crimes contre l’unité nationale.

L’amélioration sensible du niveau de vie, liée dans l’esprit du peuple au retour à la paix, n’étant toujours pas perceptible, la population a de plus en plus le sentiment que la prospérité économique naissante ne profite qu’à une minorité proche du pouvoir. Cette évolution de l’état d’esprit est exploitée à la fois par l’opposition laïque et par l’opposition religieuse. Des incidents confessionnels opposant musulmans et coptes, particulièrement dans la capitale et en Haute-Égypte, marquent les années 1980 et 1981. Le raid israélien contre le site nucléaire irakien de Tamuz (7 juin 1981), quelques jours après une rencontre entre Begin et Sadate à Charm el-Cheikh (4 juin), les efforts vains du président pour convaincre Ronald Reagan, au cours d’un voyage à Washington au début d’août, d’entamer un dialogue avec les Palestiniens, le peu d’empressement des Israéliens à reprendre les négociations sur l’autonomie, qui devaient débuter le 23 septembre, amènent le public à penser que, le raïs ayant d’emblée tout donné pour obtenir la paix, il n’a désormais plus rien à offrir pour satisfaire les exigences de Menahem Begin. C’est dans ce climat profondément dégradé que le chef de l’État décide, le 2 septembre 1981, de frapper un grand coup: 1 536 personnes, parmi lesquelles les principaux responsables des mouvements fondamentalistes islamiques, des dignitaires de l’Église copte, des personnalités politiques nassériennes, progressistes, wafdistes sont arrêtées. Cinq publications religieuses et un journal laïque d’opposition al-Cha’b sont interdits. Trois jours plus tard, le pape des coptes, Chenouda III, est déposé. Toutes les mosquées sont rattachées au ministère des Waqfs qui reçoit la mission de viser au préalable toutes les prédications. Le 10 septembre, le raïs fait adopter par référendum une série de mesures pour restaurer «la discipline et l’ordre». La démocratisation et la libéralisation qui avaient marqué les premiers jours de la présidence sont remplacées par la rigueur et la répression. Ce durcissement qui touche principalement les fondamentalistes musulmans, longtemps ménagés, arme le bras d’un commando qui, le 6 octobre 1981, au cours d’un défilé militaire commémorant la guerre d’octobre 1973, moins de sept mois avant l’évacuation totale du Sinaï, abat le chef de l’État. Une subversion de semblable origine tente au même moment sans succès de s’emparer de la ville d’Assiout. Ainsi prennent fin la vie aventureuse et le pouvoir d’Anouar Sadate qui, par d’autres moyens que ceux de son prestigieux prédécesseur, a tenté de lever les obstacles les plus importants au développement de son pays.

5. L’Égypte de Husni Mubarak

La succession

Quelques heures après cet assassinat, le vice-président Husni Mubarak fait arrêter les conjurés et proclame l’état d’urgence. Désigné par les députés comme l’unique candidat à la présidence, il est plébiscité, le 13 octobre 1981, par 98,46 p. 100 des voix et devient le quatrième président de la République arabe d’Égypte. Né le 4 mai 1928, dans la famille d’un greffier près le tribunal de Chebine al-Kom, chef-lieu de la Menoufieh, une province du Delta, le nouveau chef de l’État a eu une enfance rurale. Il s’oriente après ses études secondaires vers l’armée et sort de l’École de l’air en 1950. Colonel en juin 1967, il sera nommé général trois ans plus tard, au moment de la guerre d’usure, commandant de l’armée de l’air en 1972, vice-ministre de la Guerre à la veille du 6 octobre 1973, vice-président de la République en 1975. À ce poste, il a très souvent présidé le Conseil des ministres en lieu et place du président et accompli de nombreuses missions en Occident et dans les pays arabes. Il a, par ailleurs, effectué, lors de sa carrière d’officier, trois stages en Union soviétique, dont un à l’Académie militaire de Frounzé. Impliqué dans les négociations de Camp David, il ne s’est pas rendu en Israël et n’a jamais été mêlé à aucun scandale du régime précédent. Marié à une Égyptienne musulmane de mère galloise, père de deux garçons, il mène une vie privée très réservée.

Ses premières décisions ont consisté, tout en veillant à la nécessaire continuité de la politique engagée, à corriger les excès de la période antérieure. Il assigne ainsi à son Premier ministre la mission de consolider le secteur public, d’orienter les investissements vers les domaines productifs, de limiter les importations de produits non essentiels. La corruption et l’affairisme sont dénoncés. En novembre 1981, il fait libérer trente et une personnalités d’esprit laïque, des journalistes et universitaires, qui sont réintégrés aussitôt dans leurs fonctions, des responsables musulmans modérés, des évêques et personnalités coptes. Il lève l’interdit de publication qui frappait des revues islamiques et politiques d’opposition, mais plus de deux mille activistes des associations islamiques demeurent en prison. Les assassins du président Sadate seront jugés en avril et condamnés à mort. Des sanctions sévères sont requises en mai 1982 contre les insurgés d’Assiout, mais seront commuées en peines plus clémentes, le 30 septembre 1984. Mubarak nomme une série de responsables dans l’administration de la ville du Caire ainsi que dans les secteurs économiques et financiers. Il se sépare, en janvier 1982, des conseillers du chef de l’État défunt. En politique extérieure, il suspend les polémiques échangées avec les voisins arabes, refuse, en mars 1982, de se rendre à Jérusalem, capitale unilatéralement unifiée, obtient, à la date prévue, la restitution du Sinaï, moins l’enclave de Taba, mais refuse de s’embourber dans les tractations sur l’autonomie palestinienne. Il manifeste sa réserve, lors d’un séjour aux États-Unis, sur les accords de Camp David et n’exclut pas d’améliorer les rapports de son pays avec l’U.R.S.S.

Sur ce chemin de crête, l’Égypte a besoin d’un front intérieur pacifié. Pendant plus de trois ans, le gouvernement jouera du pouvoir discrétionnaire qui est le sien de maintenir en détention ou en relégation tel ou tel courant oppositionnel qu’il n’estime point encore venu à résipiscence: marxistes, Frères musulmans modérés, le célèbre prédicateur, le cheikh Kichk, sortent tour à tour de prison. Les coptes restent plus longtemps sous pression. Le 12 avril 1983, le Conseil d’État confirme la destitution de Chenouda III, mais la hiérarchie de l’Église refuse d’élire un nouveau pape. Il faudra attendre le 1er janvier 1985 pour qu’un décret présidentiel annule les décrets pris en septembre 1981 et le 4 janvier 1985 pour que celui-ci puisse quitter sa relégation de Wadi Natroun et revienne au Caire afin d’y célébrer la messe de Noël copte, dans la nuit du 6 au 7 janvier. Entre-temps se sont déroulées les élections législatives du 27 mai 1984, dans un climat de liberté qui fut sans pareille sur les bords du Nil depuis les débuts du régime nassérien. Au cours de la campagne électorale de trois semaines, le parti au pouvoir est accusé par l’opposition d’être la cause de tous les maux que subit le pays. Il obtient néanmoins une majorité écrasante de sièges (391 députés), en dépit de l’alliance des néo-wafdistes de tradition laïcisante et des Frères musulmans proclamée en mars 1984 (57 députés, 9 néo-F.M.). Le président n’est pas mis en cause dans les débats. Le Parti socialiste du travail et le Rassemblement progressiste unioniste (nassérien) obtenant moins de 8 p. 100 des voix validées au niveau de la République ne sont pas représentés à l’Assemblée du peuple. Les élections sont marquées cependant par de nombreux incidents (1 mort et 20 blessés) et se caractérisent par un faible taux de participation (taux d’abstention: 70 p. 100 à Alexandrie, 75 p. 100 au Caire, 80 p. 100 à Suez). C’est dans les grandes villes que les partis d’opposition obtiennent leurs meilleurs scores et le Parti national démocrate, majoritaire, ses moindres succès. Quelques jours après, le chef de l’État désignera comme députés quatre représentants du Parti socialiste du travail et son président, ainsi que cinq personnalités chrétiennes, dont un membre du Rassemblement progressiste unioniste suspendu de son parti, le 26 juin. Confirmé dans sa légitimité, le pouvoir n’en subit pas moins des contestations de différentes natures. En octobre 1984, des ouvriers du textile protestent à Kafr al-Dawar contre la hausse des prix de certains produits alimentaires et l’augmentation de leurs cotisations aux assurances sociales. Le 30, la marche de protestation provoque des heurts avec la police. Le bilan est de 3 morts, 26 blessés, 200 arrestations. Le président Mubarak annule les augmentations. L’année suivante, c’est au tour des étudiants de manifester, en novembre, sur le nouveau campus de l’université d’al-Azhar. Ils demandent la démission de leur recteur et l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Des heurts avec la police provoquent un mort; 300 étudiants sont arrêtés. Les cours restent suspendus jusqu’au 10 décembre. Les 24 et 25 février 1986, la mutinerie des jeunes soldats des brigades anti-émeutes de la police, basés dans le quartier des Pyramides, dégénère en scènes de pillage des établissements accueillant des étrangers: hôtels, boîtes de nuit, etc. Elle doit être réduite par l’intervention des forces armées. Plus de 2 000 personnes sont arrêtées. Le bilan officiel fait état de 107 morts et de 719 blessés. Les dirigeants des cinq partis de l’opposition condamnent vigoureusement cette mutinerie. Le président Mubarak affirme, le 9 mars, qu’il n’y aura pas de remise en cause de la voie démocratique et du pluralisme.

Le conflit israélo-arabe continue à avoir des répercussions sur l’Égypte. En octobre 1985, le détournement du paquebot italien Achille-Lauro par des Palestiniens entraîne l’intervention des autorités du Caire. Le navire est débarrassé de ses pirates, mais l’avion égyptien qui les emmenait en Tunisie est intercepté par la chasse américaine et contraint de se poser en Italie. Il en résulte une vive tension entre autorités américaines et égyptiennes. Des manifestations anti-américaines et anti-israéliennes éclatent dans tout le pays. Elles sont attisées par les partis d’opposition. Le 24 novembre suivant, un Boeing-737 égyptien est détourné sur Malte par quatre Palestiniens et un Syrien. Les pirates de l’air ayant tué six passagers, le gouvernement du Caire fait donner l’assaut à l’appareil par un commando venu tout spécialement d’Égypte, mais l’affaire se solde par un bilan très lourd: 60 tués et 26 blessés parmi les passagers de l’avion. L’opposition condamne la «précipitation» du gouvernement, l’accusant d’avoir agi sous la pression américaine. Le chef de l’État met en cause la Libye et la tension demeure vive entre les deux pays. En Égypte même, une série d’attentats prend pour cible, en 1984, 1985 et 1986, des diplomates et touristes israéliens, ainsi que des fonctionnaires américains. Le 5 octobre 1985, notamment, un soldat égyptien ouvre le feu sur un groupe de touristes israéliens à Ras Barqa, dans le Sinaï, faisant sept morts et plusieurs blessés. Son procès, en décembre, donne lieu à des manifestations de sympathie pour le meurtrier, dans certaines universités, à l’appel de l’opposition de gauche et des islamistes. L’auteur de l’agression, du nom de Suleyman Khater, est même transformé en héros national par la presse d’opposition, tandis que les médias gouvernementaux le présentent comme un déséquilibré. Il se suicide en prison le 7 janvier 1986; mort considérée comme suspecte par l’opposition. Ses funérailles dégénèrent en violentes manifestations anti-israéliennes. Les autres actions terroristes sont revendiquées par une organisation clandestine, Révolution égyptienne. Le fils aîné de l’ancien président Nasser, Khaled, en fuite à l’étranger, serait impliqué dans l’affaire.

Le retour au bercail

L’Égypte va reprendre petit à petit sa place dans les organisations dont elle avait été éloignée après la signature du traité de paix avec Israël. L’arrivée de Husni Mubarak au pouvoir, en octobre 1981, avait fait espérer un moment voir l’Égypte dénoncer les accords de Camp David et rallier le front arabe. Cet espoir fut vite déçu, le nouveau président ne tardant pas à confirmer ses engagements vis-à-vis de ces accords. Mais il orienta dans le même temps la diplomatie égyptienne vers un style nouveau. Une fois le Sinaï recouvré et la fin de l’état de guerre avec Israël proclamée, Le Caire va s’employer à mettre en veilleuse ses divergences avec les pays arabes et à œuvrer pour une participation palestinienne – en l’espèce l’O.L.P. – aux négociations de paix qui constituent le deuxième volet des accords de Camp David. L’adoption du plan Fahd, approuvé par le sommet arabe de Fès en 1982, consacre l’émergence d’un courant arabe modéré ayant à sa tête l’Arabie Saoudite, initiatrice de ce plan. Revendiquant un État palestinien ayant pour capitale Jérusalem, celui-ci peut s’interpréter comme une reconnaissance implicite de l’État d’Israël. Rejeté par le Front du refus, ce plan est accueilli au Caire comme présentant des éléments positifs. Cependant, l’Égypte lui préfère le plan Reagan (1er sept. 1982), plus susceptible, selon elle, d’aboutir à une solution. En juin 1982 a lieu l’invasion du Liban par les troupes israéliennes, suivie par l’évacuation des forces de l’O.L.P. du Liban, puis la rupture entre Yasser Arafat et Damas, et, enfin, la scission au sein de l’organisation palestinienne. Tous ces événements sont porteurs de nouvelles évolutions. Tandis qu’Arafat adresse des reproches aux pays arabes qui sont restés dans une attitude d’expectative, Le Caire effectue un rapprochement direct avec le chef de l’O.L.P.

Au cours de l’année 1983, la reprise des relations diplomatiques avec Israël par certains États d’Afrique incite l’Égypte à minimiser, au nom de la solidarité arabo-africaine, ce début de revirement africain en faveur de l’État hébreu. Cette attitude contribue à favoriser un rapprochement entre l’Égypte et les pays arabes dits modérés. La guerre irako-iranienne, déclenchée en septembre 1980, les échecs successifs des efforts de conciliation arabes et islamiques auront pour corollaire une initiative du côté égyptien: un acheminement régulier et important d’armes en direction de Bagdad pour aider l’Irak, pourtant alors l’un des six pays du Front du refus, dans son effort de guerre. Un autre pays de ce groupe, l’Algérie, appuie la candidature de l’Égypte au Conseil de sécurité de l’O.N.U. en octobre 1983. Enfin, en décembre 1983, la visite surprise effectuée par Yasser Arafat au Caire, au cours de laquelle des entretiens ont lieu entre le chef de l’O.L.P. et le président égyptien, met fin à l’ostracisme dont Le Caire est frappé par les pays arabes modérés. Elle fait suite au soutien accordé par l’Égypte à l’O.L.P., lors du siège de Beyrouth en 1982, puis de celui de Tripoli, l’année suivante, au moment même où Arafat est confronté aux dissidents palestiniens épaulés par Damas. Le IVe sommet de la Conférence islamique, réuni du 16 au 19 janvier 1984 à Casablanca, invite l’Égypte à reprendre sa place, après une absence de cinq ans. La décision est votée à une très grande majorité: 32 États l’ont appuyée, sur un total de 42. La réintégration au sein de l’ensemble arabe demandera plus de temps. En novembre 1987, après le sommet de la Ligue arabe tenu à Amman, les relations diplomatiques sont rétablies avec l’Arabie Saoudite et les États du Golfe. Le président Mubarak visite ces pays dans la deuxième semaine de janvier, y recevant un accueil chaleureux. Le conflit irako-iranien aidant, il est question d’envoi, dans la péninsule Arabique, de conseillers militaires égyptiens, d’une aide financière, de la présence des travailleurs venus de la vallée du Nil, d’une participation à l’industrie égyptienne d’armement, etc. Le 1er mars 1988, le chef de l’État se rend au Soudan, recherchant les voies d’une médiation de son pays entre Khartoum et Addis-Abeba. L’Égypte rétablit ainsi, en une courte période, ses relations diplomatiques avec l’ensemble des pays arabes, à l’exception de quatre: l’Algérie, le Liban, la Libye et la Syrie.

Un second mandat

Le 4 février 1987, le président Mubarak annonce l’organisation d’un référendum sur la dissolution de l’Assemblée du peuple, élue le 27 mai 1984, dont l’opposition conteste la légitimité parce que désignée sur la base d’une loi qu’elle juge contraire à l’esprit de la Constitution. Le référendum a lieu le 12 février 1987; 76,51 p. 100 des 15 millions d’électeurs y participent. Les résultats donnent 80 p. 100 de oui. Les élections sont fixées au 6 avril 1987. Six partis sont en lice, dont cinq d’opposition. L’Action socialiste, le Parti libéral et les Frères musulmans se regroupent pour faire liste commune et tenter ainsi d’atteindre le seuil de 8 p. 100 exigé pour être représenté à l’Assemblée. Les élections interviennent à la date prévue afin de pourvoir 448 sièges sur 458, dix députés étant nommés par le président. Le taux de participation n’est que de 50,45 p. 100 sur un peu plus de 14 millions d’inscrits. Le parti du chef de l’État, le Parti national démocrate, enlève 347 sièges (69,62 p. 100). La coalition Parti socialiste du travail-libéraux islamistes obtient 60 sièges (17,04 p. 100), dont 30 aux Frères musulmans, le néo-Wafd 36 sièges (10,93 p. 100), les indépendants 5 sièges. On constate le quadruplement des députés islamistes, le repli du néo-Wafd et du P.N.D. Les dix députés nommés appartiennent tous à ce dernier. Parmi eux, quatre coptes. Le 5 octobre 1987, le président Husni Mubarak est réélu pour un second mandat de six ans par 12 millions de oui, soit 97 p. 100 de voix validées contre 358 000 non, soit moins de 3 p. 100 des voix. Un remaniement ministériel restreint, faisant notamment passer de 2 à 3 le nombre des ministres coptes, intervient, le 13 octobre 1987. De même, le chef d’état-major de l’armée est remplacé.

La politique du régime vis-à-vis des mouvements islamistes reste inspirée par la tactique de la carotte et du bâton. Toute velléité de modération est encouragée. Dans la presse et à la télévision, les islamistes modérés et les repentis répudiant l’action violente ont toute latitude pour prôner la réislamisation de la vie sociale, des mœurs et des coutumes. Au Parlement, cependant, le 4 mai 1985, une motion présentée par un député islamiste demandant l’application intégrale de la loi religieuse (chari’a ) est repoussée à une écrasante majorité. L’exemple du Soudan où celle-ci avait été appliquée, décrite minutieusement dans ses abus par la presse égyptienne, a préparé l’opinion publique à cette décision.

Le débat sur l’islamisation est maintenu dans certaines limites. Il ne saurait toucher à la politique internationale ou à la gestion de l’économie. Il doit se limiter au domaine culturel et social. Quelques jours après ce vote du Parlement, un tribunal ordonne la confiscation de l’édition arabe intégrale des Mille et Une Nuits , pour offense aux valeurs de l’islam. Ce jugement suscite de nombreuses réactions scandalisées dans la presse. De même, la décision de la compagnie Egypt Air d’interdire la consommation d’alcool sur tout son réseau, le 22 mars 1984, est tournée en ridicule par l’organe officieux al-Mussawar .

Des intellectuels en renom, tels Tawfik al-Hakim ou Yusuf Idris, critiquent le port du voile et d’autres thèmes chers aux islamistes, s’attirant la réplique de ces derniers. La loi dite Jihane Sadate, parce que promulguée en 1979 sous l’influence de la femme de l’ex-président, très favorable au sort de la femme, est abrogée le 4 mai 1985 comme contraire à l’ordre divin, sous la pression des islamistes, mais une autre loi sera adoptée, le 1er juillet 1985, qui en reprendra les dispositions essentielles. La répression s’abat, en revanche, chaque fois que les islamistes maximalistes cherchent à rompre le statu quo par la violence. C’est le cas des émeutes en Moyenne-Égypte, en avril 1986 et à la fin de cette même année, lors des attentats contre deux anciens ministres de l’Intérieur et un journaliste en 1987, de manifestations d’étudiants en janvier 1988 au Caire, de troubles à l’université d’Assiout le 7 mars 1988. Un réseau islamiste d’une trentaine de membres, dirigé par un médecin, est démantelé le 16 juin 1988.

Le gouvernement doit également se pencher sur l’activité des sociétés islamiques de placement. Le phénomène débute pour les plus importantes d’entre elles en 1985. La majeure partie des fonds provenait des deux à trois millions d’expatriés égyptiens travaillant dans les États pétroliers de la péninsule Arabique. Professeurs, ingénieurs ou ouvriers étaient en partie attirés par l’affirmation que ces sociétés agissaient sur la base de préceptes coraniques. Un autre facteur déterminant, pour une bonne partie des expatriés, était l’excellent rendement de ces placements (dividendes de 24 p. 100 en moyenne, le double du taux d’intérêt bancaire sur la livre égyptienne). Ainsi, les sociétés de placement islamiques étaient devenues la branche financière du mouvement islamiste, dont la branche paramilitaire était constituée par les musulmans radicaux de Haute-Égypte et la branche politique par l’Association des Frères musulmans représentée au Parlement par plus de trente députés. Mais le krach boursier d’octobre 1987 et la baisse du taux du dollar allaient provoquer des difficultés grandissantes. À partir de mars 1988, des retraits massifs de fonds commencent, accélérés bientôt par la rumeur publique. En mai, le mouvement s’amplifie tellement que toutes les sociétés de placement décident de geler toutes leurs transactions jusqu’à nouvel ordre. Préoccupé par la crise économique, le gouvernement égyptien se décide à agir. Un taux de change réaliste est institué pour la livre égyptienne, parallèlement à des restrictions sur les importations. Un projet de loi visant à donner à la banque centrale un droit de regard sur les activités des sociétés islamiques est adopté le 9 avril 1988. Ces dernières disposent d’un délai de trois mois, au terme duquel elles doivent soit régulariser leur situation, soit procéder à leur liquidation échelonnée sur deux ans. Cette ferme reprise en main n’exclut pas la contestation des radicaux. De violents affrontements opposent islamistes et forces de l’ordre, les 12 et 13 août 1988, dans la banlieue populaire d’Aïn-Chams, au nord-est du Caire. Le mouvement islamiste radical qui a gagné les banlieues populaires de la capitale se nourrit en effet des maux dont souffre la société égyptienne: la corruption, les injustices sociales criantes, l’enrichissement indu d’une minorité à la faveur d’un libéralisme «sauvage», l’occidentalisation des nantis, toutes choses qui choquent les traditions et les croyances d’une population imprégnée par des siècles de culture islamique.

Dans les années quatre-vingt, une succession de crues très faibles provoque la baisse du niveau du lac Nasser. Celles-ci commencent en 1979 et les Égyptiens doivent, pour compenser les basses eaux, puiser une centaine de milliards de mètres cubes dans les réserves du lac, lesquelles n’étaient plus que de 25 milliards de mètres cubes à la fin de 1987 et tombaient à moins de 10 milliards de mètres cubes en juillet 1988, au moment où le fleuve est au plus bas. La première conséquence de ce début de pénurie d’eau est la baisse de production de l’électricité fournie par les turbines du haut barrage. L’eau a finalement commencé à remonter, le 22 juillet 1988. La réserve d’eau utile a maintenant dépassé les 45 milliards de mètres cubes. Mais quelle que soit l’importance de la crue, il faudrait deux ou trois autres bonnes crues pour revenir à la situation enregistrée en 1978, 177 mètres, niveau où les turbines peuvent fonctionner à plein rendement. Si la pénurie d’eau devait durer, l’agriculture, qui consomme plus de 80 p. 100 des eaux, serait durement frappée. Il faudrait alors réduire la superficie des terres plantées en riz et en canne à sucre, deux productions grandes consommatrices d’eau. Or l’Égypte, avec ses 54 millions d’habitants, souffre déjà d’une pénurie de sucre et de riz, denrées qu’il n’est pas question d’importer, étant donné le poids de la dette extérieure, s’élevant à près de 44 milliards de dollars.

Les relations avec l’étranger

Avec le monde occidental, le régime égyptien entretient de bonnes relations. Le chef de l’État s’y rend fréquemment: deux fois dans la seule année 1988, pour y évoquer les problèmes économiques et plaider pour la tenue d’une conférence internationale de paix pour régler le conflit israélo-arabe. Les Américains accordent plus de 2 milliards de dollars d’aide économique et militaire par an. La France a alloué, en 1987, 3,7 milliards de francs de crédits. Le 27 septembre 1987 a lieu l’inauguration du métro du Caire, réalisation financée par Paris. La dette du Caire a été renégociée le 3 septembre 1987 et un nouveau protocole financier signé à la mi-octobre. Plusieurs réalisations françaises, comme l’informatisation de l’aéroport du Caire, sont achevées ou en cours. Avec les autres partenaires européens, l’Égypte cherche à rééchelonner les échéances de sa dette extérieure, ainsi qu’un financement pour les importations de blé et de maïs. Plus difficiles sont les rapports avec le Fonds monétaire international. Celui-ci a préconisé une réduction des dépenses de l’État, une augmentation du taux d’intérêt et une dévaluation de la livre qui devraient être réalisées dans les dix-huit mois, à compter de mai 1987, date de la signature de l’accord du F.M.I. avec Le Caire. Le gouvernement, se souvenant des émeutes de 1977, provoquées par la brusque application des recettes du F.M.I., s’engage prudemment sur cette voie, trouvant les délais trop courts. Les relations s’améliorent avec l’U.R.S.S. Celle-ci a repris pied sur les rives du Nil, grâce notamment à un rééchelonnement très avantageux de la dette militaire égyptienne, estimée à 4 milliards de dollars. Un accord d’assistance technique et un accord commercial prévoyant une augmentation de 50 p. 100 des échanges entre les deux pays sont signés, au début de l’année 1988. Le vice-Premier ministre égyptien, ministre des Affaires étrangères, s’est rendu en mai 1988 à Moscou. C’est la première visite d’un responsable de ce rang depuis 1976. Les relations diplomatiques sont rétablies au niveau des ambassadeurs depuis 1984.

La situation de l’Égypte à la fin des années quatre-vingt n’est pas idéale: la démographie galope allègrement (plus d’un Égyptien sur deux a moins de vingt ans), l’inflation aussi. Le système des subventions des prix et services coûte très cher au Trésor public. L’analphabétisme atteint 75 p. 100 de la population et davantage encore dans les zones rurales. Une pléthore de fonctionnaires freine considérablement le développement du pays. Le chômage touche presque 15 p. 100 de la main-d’œuvre. Enfin, sans menacer le régime, un courant islamiste radical entretient un climat malsain. Il convient plus que jamais de contrôler les tensions économiques, sociales et culturelles provoquées par l’irruption de la modernité.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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